L'endettement pharaonique du gouvernement américain frise actuellement les 10 billions US. Et si rien ne change, cette dette représentera 600% du produit intérieur brut du pays d'ici 2040. Cela tient du scénario horreur, mais peut-on imaginer en faire le sujet d'un film?

L'endettement pharaonique du gouvernement américain frise actuellement les 10 billions US. Et si rien ne change, cette dette représentera 600% du produit intérieur brut du pays d'ici 2040. Cela tient du scénario horreur, mais peut-on imaginer en faire le sujet d'un film?

Admettons qu'il faut être assez fou pour penser que, par un froid samedi soir de novembre, des gens iront au cinéma pour visionner un documentaire sur un sujet aussi rabat-joie. Mais les auteurs de I.O.U.S.À (tiré de l'expression I.O.U., acronyme phonétique de «je te dois»), ont eu une veine pas possible.

Ils ont mis plus de deux années et demie à préparer ce film qui repose sur un constat. Au rythme où les Américains dépensent, sans compter, sans économiser, le pays se dirige tout droit vers la catastrophe. Or, la crise financière a véritablement éclaté un mois et demi après la sortie en salle, en août, aux États-Unis, de ce documentaire produit et coécrit par Addison Wiggin.

«J'aimerais vous dire qu'on a eu la prescience de prévoir le moment idéal. Nous avons été chanceux, reconnaît Addison Wiggin, producteur exécutif et coauteur de I.O.U.S.A. Mais le fait est qu'une crise était inévitable.»

Ce film, qui prendra l'affiche vendredi prochain à Montréal, s'appuie sur un livre écrit par William Bonner et Addison Wiggin. The Empire of Debt établit un parallèle entre la chute de Rome et le déclin de l'empire américain en raison de son endettement. La menace la plus sérieuse ne vient pas d'une grotte en Afghanistan, mais de l'intérieur.

Bill Bonner est le fondateur de la maison d'édition d'Agora, de Baltimore, au Maryland, alors qu'Addison Wiggin est l'éditeur de l'une de ses publications, The Daily Reckoning, une lettre d'information financière pour investisseurs.

Ces deux auteurs ont commencé à s'intéresser au problème d'endettement des États-Unis en raison de l'impact des politiques fiscales et monétaires sur la Bourse. L'ouvrage paru en 2005 a figuré parmi les meilleurs vendeurs au rayon des ouvrages généraux du New York Times. «Mais comme la portée de notre message restait limitée, nous avons décidé de porter notre livre au grand écran», explique Addison Wiggin.

Pour illustrer un sujet aussi abstrait, Addison Wiggin et son équipe ont décidé de suivre le Fiscal Wake-Up Tour. Il s'agit d'une tournée entreprise en 2005 pour sensibiliser les Américains à la gravité de l'endettement des États-Unis et à ses répercussions douloureuses pour les générations futures.

Deux hommes animent cette tournée qui n'a rien de la caravane d'un groupe rock. Il y a le vérificateur général des États-Unis, David Walker, qui a démissionné de ses fonctions en février dernier, peu après la première du film au Sundance Film Festival, pour défendre plus librement ce qui est devenu sa cause au sein d'une nouvelle fondation. Et Robert Bixby, directeur général de la Concord Coalition, un organisme sans but lucratif et sans affiliation politique qui milite pour que les États-Unis vivent selon leurs moyens.

Ce comptable à lunettes et cet avocat maigrichon, qui se déplacent de ville en ville dans une minifourgonnette grise pour discuter d'endettement lors de petites assemblées et sur les ondes de stations de radio locales, sont de parfaits antihéros.

Et pourtant, ils sont véritablement héroïques, parce qu'ils poursuivent leur route malgré une indifférence assez généralisée au moment du tournage, en 2007. À preuve ce segment cocasse où l'on demande à un reporter télé quelle importance sa station accordera à la conférence de Walker et de Bixby. Celui-ci estime que ce sujet figurera en milieu de bulletin. Le reportage n'a finalement jamais été diffusé dans ce bulletin qui a commencé par l'histoire d'un homme qui a avalé une bague de fiançailles de 7000$.

Ce documentaire aborde quatre déficits: le déficit budgétaire, le déficit d'épargne, le déficit commercial et le déficit de leadership aux États-Unis. Présenté comme cela, cela peut sembler très didactique, et ce film l'est un peu lorsqu'il présente de petites listes de solutions.

Mais ce documentaire dirigé par Patrick Creadon réussit un petit exploit en vulgarisant bien un sujet dans lequel nombre d'analystes s'embourbent. Mieux, c'est divertissant.

Les entrevues du milliardaire Warren Buffett, de l'ex-secrétaire au trésor Robert Rubin, des anciens présidents de la Réserve fédérale Paul Volcker et Alan Greenspan sont entrecoupées de vox populi. On demande à des Américains s'ils savent ce qu'est un déficit commercial ou s'ils ont une idée de l'ampleur de la dette des États-Unis. Il y a de la perspective historique et un usage judicieux des graphiques. Le tout est monté de façon assez incisive sur une musique guillerette.

Bref, on ne s'ennuie pas avec I. O. U. S. A, retenu cette semaine parmi les 15 films en lice pour l'Oscar du meilleur documentaire.

Addison Wiggin s'en réjouit, puisqu'il a repris à son compte l'idée derrière le Wake-Up Tour. Les politiciens ont des choix très impopulaires à faire, mais comme les Américains ne saisissent pas bien la gravité de la situation, ils sont incapables d'en proposer. Dans le contexte, toute hausse d'impôt ou toute réduction dans les services équivaut à un suicide politique.

Si les Américains sont mieux informés, raisonne Addison Wiggin, ils donneront du lest aux politiciens et seront plus ouverts à des mesures qui, aussi pénibles soient-elles, seront moins cruelles que celles qui les attendront plus tard.

Mais, si le film connaît du succès, on ne peut pas dire que le message ait encore passé, reconnaît Addison Wiggin. Il se désole de voir les lobbyistes et présidents d'entreprise qui grenouillent à Washington pour réclamer une aide pour traverser la crise financière. D'autant que le président Barack Obama s'est montré réceptif aux demandes d'aide des trois grands constructeurs de Detroit au cours de l'entrevue qu'il a accordée à l'émission 60 Minutes. «Le médicament sera affreusement mauvais, mais mieux vaut l'avaler tout de suite que plus tard», juge Addison Wiggin.

Il faudra plus qu'un Oscar pour en convaincre les Américains.