À force d'être répétées et jamais vraiment réfutées, certaines affirmations deviennent des vérités indiscutables. Ces " vérités " s'incrustent d'autant plus lorsqu'elles font plaisir à entendre. C'est le cas de l'affirmation voulant que les entreprises ne paient pas leur juste part d'impôts au Canada et au Québec.

À force d'être répétées et jamais vraiment réfutées, certaines affirmations deviennent des vérités indiscutables. Ces " vérités " s'incrustent d'autant plus lorsqu'elles font plaisir à entendre. C'est le cas de l'affirmation voulant que les entreprises ne paient pas leur juste part d'impôts au Canada et au Québec.

Cette rumeur est tellement répandue, qu'un sondage conduit en mars 2005 par CROP et la chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke faisait ressortir que 76 % des Québécois considéraient que les grandes entreprises ne payaient pas assez d'impôts.

S'attaquer à cette croyance populaire, démontrer qu'elle tient beaucoup plus du mythe que de la réalité des faits, demande une certaine dose de courage. C'est pourtant ce qu'ont décidé de faire l'économiste Pierre Fortin de l'UQAM et les chercheurs Luc Godbout et Suzie St-Cerny de la chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke. Il leur est apparu important pour l'économie du Québec de tirer les choses au clair et de remettre les pendules à l'heure.

C'est le document publié le printemps dernier par un collectif d'auteurs de la chaire d'études socio-économique de l'UQAM, dirigé par deux professeurs de comptabilité de l'institution, Michel Bernard et Léo-Paul Lauzon, qui a été l'élément déclencheur. Intitulé L'autre déséquilibre fiscal, ce document contient huit affirmations qui confortent l'impression que les entreprises établies au Québec sont très bien traitées sur le plan fiscal.

Piqués au vif par ce document, Pierre Fortin, Luc Godbout et Suzie St-Cerny ont décidé d'y répondre. Ce qui ne devait être qu'une lettre aux journaux s'est transformé en une étude d'une quarantaine de pages. Tant mieux, car le sujet mérite qu'on y consacre une étude détaillée. Pour déboulonner un mythe, il faut plus qu'une simple lettre aux journaux.

Le document publié hier reprend les huit affirmations du collectif dirigé par les professeurs Bernard et Lauzon. Une à une, elles sont réfutées, statistiques et graphiques à l'appui. La démonstration est bien documentée, les explications sont faciles à comprendre.

Prenons, par exemple, l'affirmation qui dit que les gouvernements taxent de moins en moins les profits des sociétés. Selon Fortin-Godbout et St-Cerny, les auteurs aboutissent à cette conclusion pour deux raisons. D'abord, ils ne tiennent pas compte de la fiscalité provinciale. Or, cette dernière est cruciale parce qu'au cours des dernières décennies, la baisse du fardeau des impôts basés sur le capital investi accordée par le gouvernement fédéral a été plus que compensée par une hausse de celui du gouvernement du Québec. De telle sorte que le fardeau global, fédéral et provincial, a en fait augmenté.

Par ailleurs, poursuivent-ils, l'opinion des professeurs Bernard et Lauzon se fonde sur la comparaison d'une année de profonde récession (1982) avec de bonnes années comme 2002 et 2004. Les résultats s'en trouvent donc biaisés, parce que les années comparées se situent aux antipodes sur le plan de la conjoncture économique.

L'intérêt de l'étude de Fortin-Godbout-St-Cerny est double. D'une part, elle démontre de façon rigoureuse que, contrairement à l'opinion répandue, le fardeau fiscal des sociétés québécoises n'a pas diminué depuis 20 ou 40 ans, mais considérablement augmenté. D'autre part, les auteurs poussent la réflexion un cran plus loin. Ils se demandent si c'est en fait une bonne chose que nos entreprises soient imposées aussi lourdement. " Une fiscalité du capital trop lourde peut endommager la capacité du Québec d'attirer et de retenir chez lui les investissements d'entreprises québécoises et extérieures, et nuire à la création d'emploi et de richesse sur son territoire ", écrivent-ils.

Cette question est on ne peut plus pertinente quand on constate, comme c'est le cas actuellement au Québec, un tarissement des investissements privés. Cette situation est inquiétante. Sans investissement, notre croissance économique ne peut qu'être famélique. Si on veut maintenir nos services et améliorer nos infrastructures, il faut pouvoir compter sur une croissance solide.

D'ailleurs, dans sa plus récente analyse de l'économie canadienne, l'OCDE estimait aussi que la fiscalité des entreprises au Canada décourageait l'investissement. L'OCDE introduisait le concept du taux marginal effectif d'imposition d'un investissement. Selon les calculs de l'organisme, un projet d'investissement intéressant avant impôts avait moins de chances d'être rentable au Canada qu'ailleurs, en raison du niveau élevé de d'imposition.

L'étude de Fortin-Godbout-St-Cerny revient sur cette notion du taux effectif d'imposition. Tableau à l'appui, on s'aperçoit que des pays comme les Pays-Bas, la Suède, la Suisse, l'Irlande, le Portugal et la Belgique imposent beaucoup plus légèrement que le Québec le capital investi par les entreprises.

La question à débattre, selon eux, est de se demander si le Québec devrait les imiter. Ce débat doit avoir lieu. Il est temps qu'on laisse de côté les mythes et qu'on regarde la réalité en face. Et cette réalité, c'est que l'économie du Québec a besoin d'être relancée et que toutes les solutions doivent être envisagées.