Les autorités américaines n'ont pas fini de décortiquer l'arnaque échafaudée par Bernard Madoff. Juste pour éplucher la paperasse, elles en ont pour six mois, estiment-elles. Mais les États-Unis n'attendront pas la conclusion de cette affaire, qui est promise à un long avenir devant les tribunaux.

En illustrant de façon aussi spectaculaire les failles du système, à un mois de l'investiture du président Barack Obama, le courtier américain de 70 ans vient de braquer les projecteurs sur l'obscure industrie des fonds spéculatifs.

Si les constructeurs automobiles commanderont l'attention immédiate de la nouvelle administration, la réglementation des marchés financiers n'arrivera pas très loin derrière. L'affaire Madoff, c'est le comble pour cette industrie financière qui implose sous nos yeux depuis un an.

Les détails qui se révèlent encore d'heure en heure montrent à quel point la SecuritiesandExchange Commission (SEC), la police de la Bourse aux États-Unis, a failli à sa tâche de protéger les investisseurs, même ces riches américains qui n'attirent pas la sympathie.

Bernard L. Madoff Investment Securities conseillait des investisseurs fortunés depuis des années. Mais ce n'est qu'en septembre 2006 que cette firme s'est inscrite auprès de la SEC. Or, la SEC n'a jamais profité de cette occasion. En deux ans, elle n'a jamais jugé bon d'examiner de plus près les livres du courtier et de lancer une inspection.

Bernard Madoff ne gérait pas un fonds spéculatif comme tel, mais il bénéficiait de la même opacité qui abrite les hedge funds des regards aux États-Unis.

Ces fonds spéculatifs sont une sorte de club d'investissement pour ultrariches. Ces fonds prennent généralement des risques plus élevés que les fonds communs de placement, avec des rendements supérieurs à la clé.

La SEC jugeait que la clientèle de Madoff se constituait d'investisseurs qualifiés. Cet adjectif est trompeur, dans la mesure où il laisse entendre que ces investisseurs sont avertis. Or, ce n'est pas toujours le cas.

Les investisseurs institutionnels sont certainement des professionnels rompus aux subtilités des marchés financiers.

Comment ont-ils pu se faire rouler dans la farine? Certains commentateurs vont jusqu'à affirmer que ces banques et fonds de fonds spéculatifs fermaient les yeux sur les résultats trop parfaits (et forcément louches) de Madoff. Ils préféraient empocher leurs commissions d'intermédiaires entre leurs clients fortunés et ce gestionnaire de fonds. L'agence Bloomberg a estimé que Fairfield Greenwich Group, l'un des fonds de fonds les plus touchés par le scandale Madoff, a récolté 135 millions US en commissions au fil des ans.

Si ces investisseurs institutionnels étaient avertis, on ne peut en dire autant des fondations charitables et des Américains qui confiaient leur fortune à Bernard Madoff. Aux yeux des autorités réglementaires américaines, est pourtant considéré comme un investisseur qualifié toute personne dont la valeur nette s'élève à un million de dollars ou plus ou dont les revenus annuels excèdent 200 000$ par année.

Or, ce n'est pas cette richesse -banale aux États-Unis- qui permet d'apprécier les mérites d'une stratégie d'investissement faisant un usage intensif des instruments dérivés. Le fric n'achète pas le discernement et la prudence.

En fait, ces Américains fortunés échangeaient le nom de leur courtier lors de soirées mondaines, lors de parties de golf à leur club de Boca Raton. Ils le faisaient de la même façon qu'ils se refilaient le nom d'un bon décorateur ou d'un gentil promeneur de chiens. C'était considéré comme un privilège de faire partie de la clientèle sélecte de Bernard Madoff. Voilà pourquoi le courtier de 70 ans a fait des ravages dans certains cercles.

Et puis, même à supposer que ces investisseurs aient pris le temps d'examiner la firme de Bernard Madoff, qu'est-ce qu'ils auraient bien pu découvrir? Ses documents étaient trafiqués!

Bref, si on doutait encore de l'urgence de réformer la réglementation de l'industrie financière aux États-Unis, il n'y a plus de place à l'hésitation.

Certains feront remarquer, avec justesse, que l'honnêteté, la droiture, cela ne se légifère pas. Soit. Mais que les autorités réglementaires mettent leurs nez dans les affaires des gestionnaires de fonds qui échappent à leur radar, cela permettrait peut-être de couper court aux stratagèmes avant que les pertes totalisent 50 milliards de dollars!

Sous la direction de William Donaldson, la SEC avait bien tenté d'assainir, en 2004, les moeurs des fonds spéculatifs et autres gestionnaires de fonds qui n'ont pas l'obligation d'ouvrir leurs livres. Mais cette volonté s'était heurtée à une opposition bien structurée.

Autant l'administration Bush que le président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, avaient critiqué ce tour de vis. Des lobbyistes, parmi lesquels l'ancien vice-président des États-Unis, Dan Quayle, passé à la direction de la firme Cerberus, avaient aussi fait campagne contre cette réglementation.

Mais c'est un tribunal qui a finalement tué cette initiative en 2006, en déterminant que la SEC avait outrepassé ses pouvoirs.

La tâche revient maintenant au prochain président de la SEC. Barack Obama devra le choisir avec le plus grand soin. Les petits investisseurs n'ont plus aucune confiance dans les marchés boursiers -et qui pourrait le leur reprocher?

Or, avant la spéculation, les marchés boursiers ont pour fonction première de permettre aux entreprises de financer leurs projets, de grandir, de créer des emplois, bref de faire tourner l'économie, la vraie.

Il faut vite redresser la barre pour qu'on en finisse avec la nonchalance.