Quel revirement spectaculaire en moins de 15 ans!

Quel revirement spectaculaire en moins de 15 ans!

En 1994, nous ne remontons pas au déluge, le Canada devait traîner une dette nette extérieure qui dépassait les 300 milliards, ou 41% du produit intérieur brut (PIB). Un tel fardeau, intolérable pour un pays industrialisé, mettait clairement le Canada dans une position de dépendance à l'égard de ses créanciers étrangers.

Hier, Statistique Canada a publié les résultats de son enquête trimestrielle sur la dette nette extérieure (en termes plus techniques, cela s'appelle le bilan des investissements internationaux). Les chiffres les plus récents nous apprennent que la dette nette extérieure n'est plus que de 58 milliards, ou 3,6% du PIB, un niveau parfaitement tolérable. C'est son plus bas niveau en 33 ans, donc bien avant la déroute des finances publiques dans les années 90.

À un moment où l'économie mondiale traverse des perturbations économiques et financières extrêmement graves, cette nouvelle ne peut pas mieux tomber: l'endettement extérieur négligeable du Canada contribuera largement à atténuer les effets de la crise.

Il serait sans doute pertinent, pour mieux comprendre le dossier, de distinguer la dette publique de la dette extérieure.

Quand on parle de la dette du Canada, on est porté spontanément à penser à la dette publique, parce que c'est elle qui a fait l'objet de la couverture médiatique la plus spectaculaire. La dette publique est la somme des dettes de toutes les administrations publiques (fédéral, provinces, municipalités, commissions scolaires, sociétés comme Hydro-Québec). Au pire de la crise des finances publiques, en 1993-1994, elle frisait 800 milliards, ou 109% du PIB. Le gouvernement fédéral, grand responsable de la situation, traînait à lui seul une dette de 500 milliards. L'épargne canadienne parvenait à financer la majeure partie de la dette fédérale.

Le problème, c'est qu'Ottawa n'est pas le seul emprunteur. Il y a les autres administrations publiques, comme nous venons de le voir, mais aussi les dettes privées, c'est-à-dire celles des entreprises et des particuliers.

Et c'est là que les choses se gâtent: il y a 15 ans, surtout à cause de l'énormité de la dette fédérale, l'épargne canadienne était insuffisante pour financer l'ensemble des dettes publiques et privées du Canada. Pour combler la différence, il a fallu se tourner vers le créanciers étrangers.

C'est ici qu'entre en scène le bilan des investissements internationaux, qui mesure la dette nette extérieure. Pour calculer ce montant, on additionne tous les éléments de passif détenus par des créanciers étrangers: obligations et actions canadiennes, emprunts, investissements directs étrangers au Canada. Cela comprend l'ensemble des dettes extérieures publiques et privées. À la fin du troisième trimestre de 2008, cette dette extérieure s'élevait à 1402 milliards.

Or, au Canada, les institutions financières, administrations publiques, particuliers et entreprises détiennent également des titres, investissements et autres éléments d'actif étrangers. Il y en a pour 1343 milliards. En soustrayant le passif de l'actif, on obtient la dette nette extérieure, soit les 58 milliards dont nous avons parlé tantôt.

Mais comment le Canada a-t-il pu améliorer sa situation à ce point, et en aussi peu de temps?

La clé de ce revirement, c'est l'assainissement des finances publiques, qui s'est fait essentiellement sur le dos des contribuables. En 1993, le ministre des Finances conservateur Don Mazankowski laissait derrière lui un déficit de 42 milliards; en 1997, son successeur Paul Martin réussissait à rétablir l'équilibre avec un surplus de trois milliards. Or, pendant ces quatre années, les dépenses du gouvernement fédéral sont passées de 155 à 149 milliards. Compressions il y a eu, oui, mais ce ne sont que des piqûres de maringouins à côté de l'assommoir qu'on a fait tomber sur la tête des contribuables. Toujours pendant cette même période, les revenus budgétaires du gouvernement, c'est-à-dire taxes et impôts, sont passés de 113 à 152 milliards, un bond de 37%.

Une fois l'équilibre atteint, il a fallu réduire l'endettement, et cela s'est fait en grande partie grâce aux surplus de l'assurance emploi. Contrairement à une opinion assez largement répandue, il n'y a pas de «caisse» d'assurance emploi. Les cotisations d'assurance emploi sont tout simplement ajoutées aux autres revenus budgétaires du gouvernement, comme les taxes et les impôts. Et les prestations sont tout simplement comptabilisées comme une dépense, comme le budget de la Défense ou les subventions à Radio-Canada. Si les cotisations sont supérieures aux prestations, et elles l'on été largement depuis les années 90, la différence est affectée au remboursement de la dette. L'interprétation syndicale selon laquelle il s'agit d'un «piratage de la caisse d'assurance emploi» vient d'ailleurs tout juste d'être unanimement rejetée par la Cour suprême.

Au bout du compte, ce qu'il importe de retenir des chiffres publiés hier, c'est la bonne nouvelle: le Canada, épouvantablement dépendant de ses créanciers étrangers dans un passé pas si lointain, a brillamment réussi à se tirer du trou.