Comme toute mère de famille, il m'arrive de sombrer dans la paranoïa quand mes enfants sont malades.

Comme toute mère de famille, il m'arrive de sombrer dans la paranoïa quand mes enfants sont malades.

J'ai eu un autre accès ce week-end. Mon fils de 2 ans a fait de la fièvre depuis trois jours, avec des pointes frisant les 40oC. Et vendredi, il a vomi. Ça y est, me suis-je dit, il a contracté la listériose en mangeant du jambon!

À la radio, à la télé, les reporters ne se donnent pas toujours la peine d'expliquer en quoi consiste cette maladie. Mais il n'y a rien à l'épreuve d'une mère inquiète équipée d'un accès internet haute vitesse.

Une petite recherche sur Google, et on se tâte le corps virtuellement en un tournemain. Fièvre, maux de tête, nausées Le diagnostic est, invariablement, le même - pour le plus grand bonheur des médecins qui voient débarquer des hordes de patients intimement convaincus d'être atteints! "C'est sûr que c'est ça", proclame-t-on d'entrée.

Insomniaque au petit matin hier, j'ai cherché à savoir quelles marques étaient touchées par le rappel de Maple Leaf Foods. De l'aveu du président de cette entreprise torontoise, jamais Maple Leaf n'a traversé une crise aussi grave en 100 ans.

«Nous sommes profondément désolés», dit Michael McCain dans son message télévisé d'excuses contrites, préparé jusque dans ses moindres virgules. L'entreprise l'a d'ailleurs affiché sur le site YouTube, une contre-offensive de relations publiques passablement avant-gardiste pour le Canada inc.

Incluant les viandes rappelées par précaution, il y a 220 produits sur cette fameuse liste, de sorte que ce rappel coûtera la rondelette somme de 20 millions à l'entreprise. En la parcourant (elle surgit sur le site www.mapleleaf.ca), on reste stupéfait de la portée du plus grand transformateur alimentaire au pays, avec 23 000 salariés et un chiffre d'affaires de 5,2 milliards de dollars. Maple Leaf est partout.

Vous achetez des viandes froides «Sans Nom» chez Loblaws ou «Compliments» chez IGA, et celles-ci peuvent provenir de la désormais célèbre usine 97B de Toronto.

Heureusement, les enquêteurs canadiens n'ont pas eu trop de mal à retracer l'origine de la contamination alimentaire. Mais c'était déjà trop tard pour les 12 personnes affaiblies qui sont mortes après avoir contracté la listériose. Le bilan pourrait encore s'alourdir, compte tenu de la longue période d'incubation de cette maladie (jusqu'à 70 jours).

S'il est facile de repérer les ventes aux détaillants, il est beaucoup plus long de retracer les produits écoulés par les distributeurs aux centres d'accueil, aux hôpitaux, aux garderies, etc. Le drame, il est là.

Néanmoins, les enquêteurs canadiens ont eu plus de succès que leurs collègues américains avec la récente épidémie de salmonelle aux États-Unis, qui aurait provoqué la mort d'un sexagénaire et rendu malades 1300 personnes. Il a fallu trois mois avant d'identifier, en juillet, l'origine de cette souche rare de salmonelle (St-Paul), soit des piments cueillis au Mexique. (La tomate est encore rouge d'avoir été accusée à tort)

Il ne faut pas généraliser à partir de deux cas, dont la complexité diffère. Mais ces incidents graves devraient amener le premier ministre Stephen Harper à réfléchir longuement avant que son gouvernement ne réforme le système canadien d'inspection des aliments.

Selon les informations qui ont été divulguées, mais qui n'ont toujours pas été confirmées, d'où la confusion actuelle, le gouvernement compte diminuer ses inspections dans les usines de viandes. Il laisserait à l'industrie le soin d'implanter ses propres contrôles sanitaires, ce qui est plus conforme à la pratique aux États-Unis.

L'Agence canadienne d'inspection des aliments hériterait donc d'un rôle plus distant de surveillance et de suivi des inspections menées par les entreprises.

Au final, toutefois, il n'est pas acquis que la production alimentaire soit mieux surveillée.

Alors que le Canada connaît l'une de ses pires crises sanitaires, on voit mal comment l'Agence pourrait déléguer l'inspection de la production. D'autant plus que ce contrôle est déjà minimaliste, s'il faut en croire l'expert Sylvain Charlebois, de l'Université de Regina. "On surveille à peine 2% de ce que l'on mange", a-t-il confié à mon collègue Martin Croteau.

Or, s'il y a un endroit où le gouvernement doit jouer son rôle, c'est bien ici. L'innocuité des aliments que nous achetons à l'épicerie ou que nous mangeons au restaurant n'est pas négociable. Elle ne se subordonne pas aux tiraillements budgétaires ou aux débats idéologiques. Le Canada a parfaitement les moyens de s'offrir cette sécurité alimentaire. Et s'il faut relever la TPS pour s'en assurer, ainsi soit-il.