L'enquête mensuelle de Statistique Canada sur la population active nous apprend que le marché canadien du travail pète de santé.

L'enquête mensuelle de Statistique Canada sur la population active nous apprend que le marché canadien du travail pète de santé.

Au premier coup d'oeil, on peut se demander comment cela est possible. Les usines ferment à tour de bras. Les emplois se déplacent vers la Chine, l'Inde et le Mexique. Certes, les emplois perdus dans certains secteurs sont compensés par des emplois créés ailleurs.

Le problème, selon une opinion largement répandue, c'est que l'on troque de bons emplois bien, rémunérés contre des jobines à temps partiel. Les gens travaillent de plus en plus d'heures pour des salaires de moins en moins intéressants. Et pour envenimer la situation, il n'y a plus de place pour les jeunes sur le marché du travail.

Eh bien ! non, non, pas du tout ! Aucune de ces affirmations courantes ne résiste à l'analyse. La réalité, c'est que la situation des travailleurs, à tous points de vue, s'améliore.

Pour avoir un juste portrait de la situation, il faut considérer le marché du travail dans une perspective historique. Prenons les 20 dernières années. Quelle était la situation en 1987, et comment se compare-telle à celle de 2007?

Depuis 1987, l'économie canadienne a créé près de 4,5 millions d'emplois, ce qui a été très suffisant pour procurer de l'emploi à tous les nouveaux arrivants sur le marché du travail, et même plus, de sorte qu'en bout de ligne, le taux de chômage a reculé de 8,8 à 6,1 %.

L'économie québécoise, pendant la même période, a créé 812 000 emplois, ce qui a fait chuter le taux de chômage de 10,2 à 7,6 %.Le chômage, au Québec comme dans l'ensemble du Canada, se situe actuellement à son plus bas niveau en 30 ans. Première bonne nouvelle.

Mais est-il vrai que les nouveaux emplois sont des jobines mal payées?

Voyons cela :

- La rémunération hebdomadaire moyenne, toujours depuis 1987, est passée de 462 $ à 757 $. Ces montants sont exprimés en dollars courants. En les ajustant pour tenir compte de la hausse des prix à la consommation, on s'aperçoit que les 462 $ de 1987 valent, aujourd'hui, 715 $. Non seulement les travailleurs canadiens ont-ils intégralement protégé leur pouvoir d'achat, mais en termes réels, ils se sont enrichis. Voila pour les jobines mal payées.

- Qu'en est-il des heures de travail de plus en plus longues? En 1987, la semaine de travail moyenne, au Canada, comptait exactement 32 heures et cinq minutes. Le chiffre correspondant, cette année, est de 31 heures et 42 minutes. En moyenne, nous travaillons donc 23 minutes de moins par semaine qu'il y a 20 ans. Ce n'est pas un gain énorme, certes, mais nous sommes très loin du mythe voulant que les semaines de travail s'allongent.

- Le nombre de jeunes chômeurs est passé de 391 000 à 319 000. Certes, les jeunes travailleurs sont encore touchés par un taux de chômage de 11 %, ce qui est nettement plus élevé que la moyenne. C'est quand même une sensible amélioration par rapport aux 13,2% observés en 1987. On ne peut certainement pas conclure de ces chiffres qu'il n'y a pas de place pour les jeunes sur le marché du travail.

- Enfin, 77% des emplois créés depuis 20 ans sont des emplois à temps plein.

Les chiffres que nous venons de voir sont des moyennes. Derrière les chiffres, il y a plein de véritables drames. Oui, il y a des usines qui ferment. Oui, il y a des travailleurs de 20, 30, voire 40 ans d'expérience qui se retrouvent en chômage sans grand espoir de se recycler. Oui, beaucoup d'entre eux devront se contenter d'assuranceemploi ou d'emplois moins bien rémunérés. Oui, ça fait mal.

Mais ne généralisons pas. Ce qu'il importe de regarder, c'est le portrait d'ensemble. Le Québec ne commence pas et ne finit pas chez Olymel. La réalité, c'est que l'économie continue de rouler, que de nouvelles entreprises remplacent celles qui ferment et contribuent à créer de l'emploi. Et, comme on vient de le voir, ces nouveaux emplois ne contribuent aucunement à détériorer la condition des travailleurs.

Sur une longue période, les chiffres nous font voir une autre réalité: le marché du travail est en pleine mutation.

Le principal changement (en fait, il serait plus exact de parler de bouleversement) concerne évidemment l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail. Nous venons de voir que l'économie canadienne a créé 4,5 millions d'emplois depuis 1987. Or, près de 60%de ces nouveaux emplois sont allés à des femmes.

Autre changement important : l'émergence du travail autonome, En vingt ans, le nombre de travailleurs indépendants au Canada est passé de 1,7 à 2,6 millions, un bond de 53 %. On voit aussi que le rythme de création d'emplois dans le secteur privé est presque deux fois plus rapide que dans le secteur public.

Le poids du secteur public s'érode donc lentement. En 1987, 25 % des travailleurs étaient à l'emploi d'une administration publique. Cette année, cette proportion se situe à 23 %. Ces chiffres inversent la tendance observée dans les années 60 et 70.

Une mutation majeure concerne les emplois par secteur économique. Les pertes massives d'emplois dans le secteur manufacturier sont amplement documentées.

Le Québec, en ce sens, ne diffère pas de ses concurrents: partout dans le monde industrialisé, le secteur manufacturier recule. On sait aussi que le secteur des services récupère largement les pertes du manufacturier.

Le secteur des services est souvent assimilé au commerce, à la restauration, à l'hôtellerie, où les salaires sont inférieurs à la moyenne. D'où, peut-être, le mythe voulant qu'on échange de bons emplois contre des jobines.

C'est oublier que le secteur des services comprend aussi, entre autres, les services financiers, les assurances, les services informatiques, la plupart des professions, l'éducation, l'administration publique, tous des secteurs où la rémunération est en avance sur la moyenne.

Il est enfin un phénomène qu'il est difficile de chiffrer sur une période de 20 ans, parce qu'il est trop récent : le retour des retraités sur le marché du travail. Sur le terrain, on peut déjà observer qu'il s'agit d'un autre bouleversement, dont on ne connaîtra l'ampleur véritable que dans quelques années.