Dans La Presse de mercredi, mon collègue Alain Dubuc a parlé avec raison de tabou pour décrire la peur presque morbide qui entoure un éventuel retour aux déficits budgétaires. Pauline Marois, rappelle-t-il, a «osé rompre la loi du silence et admettre qu'il serait possible qu'un gouvernement dirigé par elle enregistre un déficit». Elle n'est pas la seule.

Dans La Presse de mercredi, mon collègue Alain Dubuc a parlé avec raison de tabou pour décrire la peur presque morbide qui entoure un éventuel retour aux déficits budgétaires. Pauline Marois, rappelle-t-il, a «osé rompre la loi du silence et admettre qu'il serait possible qu'un gouvernement dirigé par elle enregistre un déficit». Elle n'est pas la seule.

À Ottawa, le ministre des Finances Jim Flaherty n'est plus en mesure d'affirmer que le gouvernement maintiendra ses surplus après l'exercice 2008-2009, autant dire demain.

Depuis que les gouvernements ont réussi à éliminer leurs déficits, à la fin des années 90, l'équilibre budgétaire est effectivement devenu un dogme que tout le monde tient pour acquis.

Il y a de quoi avoir peur. Il y a 15 ans à peine, les finances publiques canadiennes étaient dans un état épouvantable (toutes proportions gardées, la situation dont hérite Barack Obama, aux États-Unis, est pourtant bien pire). Ottawa a imposé d'énormes sacrifices aux Canadiens pour s'extirper du bourbier. Les contribuables ont été saignés. Les subventions et les programmes sociaux ont été comprimés. Tous les ministères ont vu leurs budgets amputés, et des milliers d'emplois ont été supprimés dans la fonction publique. Ottawa a sabré dans les transferts aux provinces qui, à leur tour, ont du réduire leurs contributions au financement de l'éducation et des soins de santé.

Personne ne veut revivre ce cauchemar, et on comprend pourquoi la seule évocation d'un retour aux déficits suscite autant d'épouvante.

Pourtant, les économistes considèrent généralement qu'en ouvrant les vannes en période de ralentissement ou de récession, les administrations publiques contribuent à maintenir l'emploi et à limiter les dégâts.

Le problème, c'est qu'en période de croissance, les gouvernements doivent faire le contraire: éliminer les déficits et accumuler les surplus. Or, l'histoire récente nous montre que les choses ne se passent pas comme cela.

Un simple coup d'oeil sur l'historique des comptes publics du Canada montre a quel point le dérapage des finances fédérales a été brusque. En 1969, le budget du ministre des Finances Edgar Benson prévoit un surplus de 332 millions. Ce sera la dernier pour une longue période. Il faudra attendre 28 ans, soit le budget de 1997 de Paul Martin, pour qu'Ottawa renoue avec l'équilibre.

Que s'est-il passé entre-temps?

En 1970, M. Benson déclare un déficit de 780 millions, mais cela n'inquiète personne: le montant représente moins de 1% du produit intérieur brut (PIB).

Les choses vont commencer à se gâter avec l'élection du gouvernement minoritaire de Pierre Elliott Trudeau en 1972. Trudeau s'appuie sur les néo-démocrates de David Lewis. Ceux-ci, en échange, demandent des augmentations dans les transferts aux particuliers et des salaires plus élevés dans la fonction publique. Deux ans plus tard, lorsque les électeurs redonnent la majorité à M. Trudeau, le déficit dépasse déjà les 2 milliards.

Ce n'est rien à côté de ce qui s'en vient, Les augmentations dans les dépenses de programmes sont récurrentes. Avec les années, leurs poids est de plus en plus lourd à supporter. Le déficit explose: 6,3 milliards en 1976, 10,4 milliards l'année suivante, 14,9 milliards en 1981 (le bref intermède de Joe Clark, en 1979, ne changera pas grand-chose à cette détérioration).

Arrive la récession de 1981-1982. Elle tombe bien mal, parce que la longue série de déficits survenus depuis le budget Benson de 1969 a propulsé la dette publique de 17,6 à 101 milliards. Et bien que lourdement endetté, le gouvernement Trudeau va appliquer la recette qui consiste à injecter de l'argent dans l'économie en période de crise. Le déficit grimpe à 28 milliards en 1982, 32 milliards l'année suivante et un sommet de 38 milliards sous le ministre Marc Lalonde en 1984, C'est presque 9% du PIB, un record de tous les temps. Entre 1981 et 1984, en trois ans seulement, la dette double de volume, passant à 199 milliards.

À ce point, le gouvernement a perdu le contrôle de ses finances, et doit créer chaque année de nouveaux déficits pour payer les intérêts, Puisqu'il faut emprunter pour payer ces déficits, la dette continue de gonfler. Elle franchit le cap des 300 milliards en 1987, 400 milliards en 1991 et culmine à 580 milliards en 1997, année où le ministre Paul Martin parvient enfin à éliminer le déficit.

S'il n'avait pas mis le doigt dans l'engrenage vicieux des déficits et de l'endettement, dans les années 70 et 80, le gouvernement fédéral aurait épargné quelque 600 milliards en intérêts entre 1976 et 1999. On ne peut que rêver à tout ce qu'il aurait pu financer en programmes sociaux et baisses d'impôts avec cette cagnotte. Certes, aujourd'hui, rien ne permet de croire que le Canada revivra une autre fois cette pénible expérience. Mais ce rappel historique montre à quel point il faut demeurer vigilant.

Dans le cas du gouvernement québécois, qui doit déjà supporter une dette de 142 milliards, il faut être doublement vigilant.