Imaginez que vous courriez votre premier marathon. Après en avoir bavé pendant des kilomètres, après avoir heurté et franchi le fameux mur psychologique, vous trébuchez et vous vous affalez de tout votre long. À quelques mètres de la ligne d'arrivée, vous êtes incapable de vous relever.

Imaginez que vous courriez votre premier marathon. Après en avoir bavé pendant des kilomètres, après avoir heurté et franchi le fameux mur psychologique, vous trébuchez et vous vous affalez de tout votre long. À quelques mètres de la ligne d'arrivée, vous êtes incapable de vous relever.

C'est ce qui arrive à BCE. À 15 jours de sa conclusion, la plus grande acquisition par emprunt de l'histoire du Canada s'est effondrée. Et ne comptez pas sur un improbable deus ex machina pour sauver par miracle cette transaction de 51,7 milliards de dollars. C'est kaput.

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En effet, si Teachers' a toujours maintenu, officiellement, qu'elle tenait mordicus à conclure l'achat de BCE avec un consortium d'investisseurs institutionnels, tout le monde doutait de la sincérité de la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario. Au sommet du marché, elle a offert le gros prix pour l'entreprise montréalaise.

Les comptables de KPMG lui offrent sur un plateau l'occasion de se retirer à relativement bon compte, même si Teachers', avec près de 51 millions d'actions (en date du 30 septembre), a perdu plus de 650 millions dans la seule journée d'hier.

Quant aux quatre institutions financières coincées pour financer à perte cette transaction, dont Citigroup et Royal Bank of Scotland, qui viennent elles-mêmes de faire l'objet de sauvetages financiers, elles doivent recommencer à croire au père Noël!

En fait, dans les derniers kilomètres, il n'y avait que les actionnaires de BCE pour encourager et soutenir cette transaction. Actionnaires qui se retrouvent Gros-Jean comme devant.

On a longtemps pensé que ce serait les banquiers, les détenteurs d'obligations à long terme ou la Cour suprême du Canada qui tueraient cette transaction. C'est finalement une petite bande de comptables de la firme KPMG qui ont levé un petit drapeau rouge en déclarant : «Désolé les boys, mais on ne pense pas que cela passe le test».

Quel satané test ? demandent les actionnaires. Le test de solvabilité ! C'est le type de test qu'appliquent régulièrement les actuaires pour les régimes de retraite. Or, son utilisation dans le cadre d'acquisitions est plus méconnue.

En gros, ce test consiste à savoir si une entreprise a un actif suffisant pour faire face à ses obligations actuelles et futures. Il n'y a pas que les régimes de retraite de Bell, éprouvés par la débandade en Bourse, qui posent problème. Il y a surtout le fait qu'en vertu de cette transaction par emprunt, Bell Canada se porte garante de 30 milliards de la dette d'acquisition. C'est ce qui fait grincer des dents des comptables.

BCE conteste les hypothèses de cette analyse et sa conclusion, mais si KPMG reste sur sa position, cette transaction ne sera qu'un souvenir. Teachers' a sauté sur l'occasion, en affirmant que ce test est une condition essentielle à la conclusion de la transaction.

Distraite par la fermeture annoncée de son capital, BCE aura donc perdu plus de deux années. Elle accuse du retard dans une industrie en ébullition qu'elle commence tout juste à combler.

L'un des paradoxes de cet échec, c'est que Bell Canada pourrait mieux s'en porter à court terme. Elle n'aura pas à supporter le fardeau de cette dette. Déjà, l'agence de notation de crédit DBRS compte revoir d'un oeil favorable la cote de BCE si le rachat de Teachers' et compagnie avorte.

Bell Canada sera donc en meilleure posture pour affronter le ralentissement de l'économie. De plus, l'entreprise aura plus de facilité à financer ses investissements en technologie et rester concurrentielle dans l'industrie des télécoms.

À la mi-octobre, Bell Canada a déjà révélé son projet d'investir, de concert avec sa rivale Telus, dans un réseau sans-fil de dernière génération de norme HSPA pour high speed packet access. Ainsi, Bell ne sera plus confinée au seul standard sans-fil CDMA de l'Amérique du Nord, une grande faiblesse, et s'ouvrira au GSM, en usage partout dans le monde. Les deux partenaires ont refusé de chiffrer cet investissement, mais celui-ci s'établirait entre 750 millions et 1 milliard de dollars, selon les analystes.

Qui plus est, Bell Canada devra investir des sommes colossales pour mieux concurrencer les câblodistributeurs en installant de la fibre optique jusqu'à ses abonnés résidentiels. Avec son actuel réseau de fils de cuivre, Bell aura du mal à offrir de la vidéo à la demande de qualité, de l'avis d'experts. Or, à plus de 1000$ de coûts par résidence, c'est un investissement qui se calcule en milliards de dollars.

Si Bell Canada se portera mieux, ce n'est pas la fin des distractions. Avec les différentes clauses de résiliation - qui est responsable de l'échec? - le barreau va pouvoir organiser un congrès professionnel tellement il y aura d'avocats qui vont s'inviter au petit buffet d'après enterrement.

Surtout, la question de la légitimité de l'équipe de direction actuelle va se poser et cela, sans égard à ses compétences. George Cope et ses lieutenants ont été mis en place par des investisseurs institutionnels qui sont sur le point de prendre la poudre d'escampette. Ce sont ces mêmes investisseurs qui ont approuvé le plan de restructuration de l'entreprise même si ils n'en avaient pas encore pris possession. De quel droit ?

Cette situation sans précédent à ma connaissance soulève un grave problème de gouvernance. BCE aura peut-être le champ libre. Mais cette transaction n'a pas fini de la hanter.