Cela fait des années qu'Ottawa et les provinces, le Québec en particulier, s'affrontent sur la question stratégique du déséquilibre fiscal. Les enjeux se chiffrent par milliards de dollars.

Cela fait des années qu'Ottawa et les provinces, le Québec en particulier, s'affrontent sur la question stratégique du déséquilibre fiscal. Les enjeux se chiffrent par milliards de dollars.

En 1997, Ottawa a mis fin à une longue suite de déficits monstrueux, qui avaient précipité les finances publiques canadiennes dans un véritable bourbier. Or, une fois l'équilibre rétabli, le gouvernement fédéral s'est mis à nager dans les surplus. Ainsi, entre 1997 et 2005, Ottawa a déclaré des surplus cumulatifs de 58 milliards. Cette somme a été entièrement canalisée vers le remboursement de la dette, ce qui n'est pas une mauvaise chose en soi. N'empêche: par son ampleur, le chiffre montre à quel point les finances publiques fédérales sont en bonne santé.

Pendant ce temps, que s'est-il passé dans les provinces?

À la fin des années 90, les provinces, comme le fédéral, accumulaient les déficits. Toutes ont réussi à rétablir l'équilibre, certaines au prix d'énormes sacrifices. Or, cet équilibre s'est montré dangereusement fragile. Depuis ce temps, plusieurs provinces ont renoué avec le cercle vicieux des déficits et de l'endettement, les autres (sauf l'Alberta) parviennent tout juste à boucler leurs comptes. Au Québec, il a même fallu que le ministre des Finances se livre à des contorsions comptables pour annoncer qu'il terminera l'exercice sans déficit, ce qui lui a valu de se faire taper sur les doigts par le vérificateur général.

Toujours est-il que, pendant la période où Ottawa accumulait des surplus de 58 milliards, les 10 provinces déclaraient un déficit collectif de 18 milliards.

Pourquoi un tel écart? Parce que les dépenses des provinces augmentent beaucoup plus rapidement que celles du fédéral. En tenant compte de l'inflation, les dépenses fédérales, en 2005-2006, sont exactement au même niveau qu'en 1990-1991, et même légèrement inférieures. Autrement dit, Ottawa a su contenir ses dépenses en deça de la courbe des prix à la consommation. Pendant la même période, toujours en termes réels, les dépenses des provinces ont augmenté de 33%.

Si les provinces dépensent plus, ce n'est pas parce qu'elles jettent l'argent des contribuables par les fenêtres; c'est parce qu'elles doivent faire face à l'explosion des dépenses de santé.

Dans ces conditions, on peut certainement comprendre la célèbre phrase de Bernard Landry, selon laquelle "l'argent est à Ottawa, les besoins sont à Québec".

En mars 2001, la tension avait atteint un tel niveau que le gouvernement péquiste mandatait le fiscaliste Yves Séguin pour évaluer l'importance du déséquilibre et proposer des solutions.

M. Séguin, entouré d'une petite équipe de spécialistes, a déposé l'année suivante un travail remarquable de 213 pages, plus trois annexes totalisant 435 pages. Le rapport Séguin venait appuyer solidement le point de vue du Québec, mais il était tellement bien fait que les autres provinces s'en sont abondamment servis pour étayer leurs propres revendications.

En gros, M. Séguin rappelait avec justesse que la part du financement fédéral aux dépenses sociales des provinces (santé, éducation, aide sociale) était passée de 18 à 14% entre 1995 et 2002. Pour le Québec, cela représentait un manque à gagner de 2,2 milliards par année. Un trou énorme que M. Séguin proposait de combler en rapatriant le produit de la taxe de vente fédérale (TPS).

Hier, dans les pages éditoriales de La Presse, mon collègue André Pratte a apporté un point de vue hautement éclairant sur tout ce dossier. C'est que, en effet, il s'est passé beaucoup de choses depuis quatre ans, et notamment une hausse importante des transferts fédéraux.

En fait, un coup d'oeil sur la Revue Financière, une publication technique du ministère des Finances qui permet de suivre l'évolution des revenus et dépenses en cours d'exercice, montre que les transferts aux provinces augmentent beaucoup plus vite que l'ensemble des dépenses du gouvernement. Les derniers résultats disponibles, qui couvrent les cinq premiers mois de l'exercice (avril à août), montrent que les transferts aux provinces grimpent de 9,3%, contre une hausse de 3,9% pour l'ensemble des dépenses.

Résultat: le fédéral finance maintenant les dépenses sociales des provinces à hauteur de 17%. Autrement dit, en termes réels, les provinces ont récupéré presque tout le terrain perdu lors des grandes compressions des années 90.

Concrètement, pour le gouvernement québécois, cela signifie que le manque à gagner n'est plus de 2,2 milliards (en dollars de 2002) mais de 500 millions (en dollars de 2006). Il reste un trou, certes, mais ce trou ne représente plus que 0,08% du budget québécois de 59 milliards, et il reste encore des hausses de transferts à venir. En fin de compte, comme le souligne André Pratte, "mesuré selon la méthode retenue par l'équipe de M. Séguin, le déséquilibre fiscal est aujourd'hui presque résorbé".

Bon, le déséquilibre se résorbe. Mais cela ne règle pas le problème des provinces, qui continuent de tirer le diable par la queue pendant qu'Ottawa continue de déclarer des surplus colossaux. La semaine dernière, la Revue Financière nous apprenait que le gouvernement fédéral a enregistré un surplus de 6,7 milliards d'avril à août. Ce chiffre apparaît d'autant plus énorme que le ministre des Finances, Jim Flaherty, a prévu dans son budget un surplus de 3,6 milliards pour l'année complète. Si les choses continuent à ce rythme, on pourrait penser qu'Ottawa se dirige droit vers un prodigieux surplus de 16 milliards.

Or, les choses ne continueront pas à ce rythme. Le budget Flaherty annonçait quelque 14 milliards en baisses de taxes et nouvelles dépenses. Ainsi, deux importantes mesures, la baisse du taux de la TPS et la nouvelle Prestation universelle pour la garde d'enfants, sont entrées en vigueur en juillet. Leur impact (sept milliards sur une année complète) ne s'est donc pas encore fait vraiment sentir sur les résultats financiers du gouvernement. La Revue financière ne tient pas compte, d'autre part, des ajustements de fin d'exercice, qui retranchent habituellement une couple de milliards au surplus. En fin de compte, il est probable que le surplus de l'exercice ne soit pas si éloigné des prévisions du ministre.

Enfin, il est un autre aspect du rapport Séguin qui mérite une attention spéciale. Les auteurs ont demandé au Conference Board, un organisme neutre et respecté, d'effectuer des projections à long terme. Selon une de ces projections, si rien ne change, le surplus du gouvernement fédéral atteindrait 90 milliards en 2019-2020. Cela pose la question des transferts fédéraux à long terme. Si le déséquilibre est en train de se résorber, c'est surtout à cause d'une entente ponctuelle entre le gouvernement Martin et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Mais le système demeure vicié à la base: pour financer des services relevant de leur compétence, les provinces demeurent tributaires des conditions (on pourrait même dire des caprices) d'Ottawa. D'autre part, elles ne disposent d'aucune source de financement stable pour faire face à l'explosion des dépenses de santé, qui pèsera de plus en plus lourd sur les finances publiques.

C'est un problème majeur, mais il existe, heureusement, des approches intelligentes et novatrices. Mardi, nous nous pencherons sur une de ces approches.