Comme des résidants côtiers qui attendent derrière leurs fenêtres barricadées que l'ouragan touche terre, tout le monde se préparait au pire, hier, après un week-end qui a ébranlé les colonnes gréco-romaines de l'édifice de la Bourse de New York.

Comme des résidants côtiers qui attendent derrière leurs fenêtres barricadées que l'ouragan touche terre, tout le monde se préparait au pire, hier, après un week-end qui a ébranlé les colonnes gréco-romaines de l'édifice de la Bourse de New York.

L'inimaginable s'est produit. La crise du crédit a eu raison de deux des plus grands noms de Wall Street, la banque d'affaires Lehman Brothers et la firme de courtage Merrill Lynch, deux entreprises vénérables qui avaient survécu à la Grande Dépression.

Lehman est pratiquement en faillite, alors que Merrill troque l'indépendance qui faisait sa fierté depuis 94 ans contre la sécurité de Bank of America, la deuxième banque aux États-Unis après Citigroup en fonction de la taille de son actif.

C'est comme si, après Ike, on avait sauté les lettres "J" et "K" pour affronter simultanément les ouragans Lehman et Merrill. La Bourse de Toronto a reçu de plein fouet hier la queue de cette "tempête parfaite" et a ployé comme un palmier sous la force du vent, reculant de 515 points ou de 4% pour terminer la journée à 12 254 points.

Mais la crise sur Wall Street est loin de tout expliquer. En fait, le sous-indice des sociétés financières a reculé de seulement 1,9%, moitié moins que l'indice principal de la Bourse de Toronto. C'est la chute du prix des matières premières et du baril de pétrole, qui a perdu 5,47$US dans la seule journée d'hier à New York, qui a plombé l'indice principal du parquet torontois.

Cela montre à quel point les institutions financières canadiennes résistent mieux, de par leur solidité, à la crise du crédit.

Plus réglementées, mieux capitalisées, elles n'ont pas étiré l'élastique du crédit autant que leurs consoeurs américaines, notamment dans le secteur immobilier.

Les institutions financières canadiennes sont peu touchées par les déboires de Lehman et de Merrill. L'une des plus exposées est la Financière Sun Life, qui a admis détenir hier près de 350 M$ de titres émis par Lehman (obligations et produits dérivés). Cet assureur-vie s'attend ainsi à radier une partie de cette somme dans ses résultats financiers du troisième trimestre.

Même la Banque CIBC, l'institution financière canadienne la plus susceptible de commettre une grosse gaffe, s'est empressée d'annoncer hier matin qu'elle n'avait "que" 25 M$ en jeu. C'est tout dire! «Les entreprises canadiennes sont encore fortes et bien placées», a commenté Gerald McCaughey, lors d'une conférence avec des investisseurs institutionnels.

L'achat de Merrill Lynch par Bank of America ne devrait pas avoir beaucoup de retentissement au Canada non plus. Bank of America n'a qu'une toute petite succursale en financement corporatif.

Aussi, il ne devrait pas y avoir trop de recoupements avec Merrill Lynch Canada, un courtier institutionnel qui emploie de 300 à 400 professionnels, d'après nos informations. Il faut se rappeler que Merrill Lynch Canada a cédé toutes ses activités de courtage au détail en 2001 à la Banque CIBC.

En fait, cette transaction qui s'est faite précipitamment et dans le désespoir serait vraisemblablement saluée en d'autres temps, si on fait abstraction de son prix de "vente de feu".

Vrai, des employés de Merrill Lynch ont affirmé hier, sur le coup de l'émotion, qu'ils ne se résigneraient jamais à travailler pour une grande banque. Mais les deux institutions sont très complémentaires.

Merrill peut tirer profit de la solidité financière, de la capacité de prêts et de l'étendue du réseau de succursales de Bank of America. Alors que Bank of America devient une force dans le courtage avec un nom écorché, certes, mais toujours réputé et un réseau international.

En fait, même si aucun banquier canadien ne se réjouit à voix haute des malheurs de leurs confrères américains, cette crise sans précédent représente une occasion unique pour les institutions canadiennes d'étendre leurs activités aux États-Unis. D'autant que plusieurs banques ont déjà fait leurs premiers pas sur ce marché et sont familières avec la culture d'affaires américaine.

Incapables de fusionner au Canada, les banques canadiennes se tournent vers le sud depuis le tournant des années 2000. Les six grandes banques ont investi plus de 26 G$ aux États-Unis, d'après une compilation sommaire effectuée par l'Association des banquiers canadiens, à la demande de La Presse.

L'achat de la banque régionale Commerce Bancorp par le Groupe financier Banque TD, en mars, au coût de 7,1 G$, est l'une des transactions d'envergure les plus récentes en date.

Évidemment, les institutions financières canadiennes doivent procéder avec la plus grande circonspection. Comme le faisait remarquer Gordon Nixon, le grand patron de la Banque Royale, en entrevue au Globe&Mail, "quand tu achètes une entreprise, tu achètes aussi son bilan".

Bref, de telles acquisitions peuvent réserver de mauvaises surprises, comme la Royale l'a déjà appris dans une certaine mesure avec l'achat de Centura dans le sud des États-Unis.

Ce n'est pas pour rien que les dirigeants de la banque britannique Barclays ont plié bagage et sont rentrés à Londres après avoir jonglé avec l'idée d'acquérir Lehman Brothers. Ils ont cherché en vain à obtenir des garanties du gouvernement pour se protéger de pertes éventuelles.

Mais après le sauvetage controversé de la banque d'affaires Bear Stearns et l'immense bouée lancée à Fannie Mae et Freddie Mac, les deux géants du prêt hypothécaire, le gouvernement n'est clairement plus disposé à jouer le bon Samaritain. (Bien qu'il accepterait maintenant des actions en garantie pour des prêts d'urgence, ce qui pourrait coûter cher aux contribuables américains au bout du compte.)

Si le gouvernement reste de marbre, les cas de faillite pourraient bien s'étendre de Wall Street aux banques régionales. Or, lorsque les banques font faillite, il est beaucoup plus facile d'identifier les activités saines et d'acquérir sélectivement les morceaux les plus intéressants.

Vautour? Peut-être. Mais bon, après toute la témérité dont les institutions financières américaines ont fait preuve, avec les conséquences que l'on connaît aujourd'hui sur les ménages qui sont contraints de rendre les clefs de leurs maisons, il n'y aura pas grand monde pour pleurer sur leur sort.

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