Le départ de Henri-Paul Rousseau, sixième président de la Caisse de dépôt, fournit une bonne occasion de revoir le chemin parcouru depuis la fondation de l'institution.

Le départ de Henri-Paul Rousseau, sixième président de la Caisse de dépôt, fournit une bonne occasion de revoir le chemin parcouru depuis la fondation de l'institution.

Au milieu des années 60, le Canada décide de créer un régime de retraite public, universel et obligatoire, le Régime de pensions du Canada. Le gouvernement du Québec, dirigé par Jean Lesage, habilement conseillé par un brillant haut fonctionnaire des Finances, Jacques Parizeau, pense qu'il est préférable de mettre sur pied son propre régime, copié à quelques poussières près sur le régime fédéral.

À Ottawa, les cotisations des travailleurs alimenteront un fonds qui servira à acheter des obligations fédérales et provinciales. Le Québec, de son côté, déposera les cotisations dans une institution spécialement créée pour cela, la Caisse de dépôt et placement du Québec, dotée d'un double mandat: faire fructifier les épargnes des cotisants et contribuer au développement économique du Québec.

En juillet 1965, l'Assemblée législative (qui deviendra plus tard l'Assemblée nationale) approuve l'acte de naissance de la Caisse. Le premier ministre Lesage affirme alors que le nouvel instrument est «un levier plus puissant que tous ceux qu'on a eus dans cette province jusqu'à maintenant».

La suite des choses allait lui donner raison, et deux fois plutôt qu'une.

Pourtant, les débuts sont humbles. En 1966, la Caisse a accumulé assez de cotisations pour effectuer son premier placement: elle achète des obligations de la BIRD (Banque internationale pour la reconstruction et le développement). Une transaction de 500 000$. Cela semble bien modeste quand on sait que l'actif de la Caisse dépasse aujourd'hui les 155 milliards. Sous son premier président, Claude Prieur (1965-1973), la Caisse fait ses débuts à la Bourse en achetant 3000 actions d'Alcan. Elle fera aussi ses premiers placements dans des entreprises québécoises, et, en 1967, effectue son premier prêt hypothécaire. Mais tous ces placements demeurent marginaux et le portefeuille demeure massivement composé d'obligations.

Lorsque Marcel Cazavan devient son deuxième président, en 1973, la Caisse est déjà un acteur avec lequel il faut compter. Dès 1974, elle détient le premier portefeuille d'actions canadiennes au pays. Elle se diversifie dans l'immobilier, mais demeure toujours et d'abord, de loin, un portefeuille d'obligations. Bien que nommé par le gouvernement libéral de Robert Bourassa, M. Cazavan conservera son poste sous le gouvernement péquiste de René Lévesque. En 1980, il surprend tout le monde en démissionnant «pour raisons personnelles». Il demeure toutefois à la Caisse comme conseiller du nouveau président. Sous sa directtion, l'actif de la Caisse est passé de trois à onze milliards.

Le nouveau président, Jean Campeau (1980-1990), est un sous-ministre des Finances. Il entreprend une vaste diversification du portefeuille en investissant non seulement sur le marché boursier canadien, mais aussi dans les actions étrangères. Il multiplie les interventions majeures dans le monde québécois des affaires, en pleine ébullition à l'époque (c'était l'âge d'or du REA) et crée de toutes pièces une brochette de vedettes-minute dont on ne parle plus guère aujourd'hui: Charles Sirois, Bertin Nadeau, Pierre Lortie, Michel Gaucher, entre autres. Beaucoup de ces interventions susciteront la controverse. N'empêche, c'est grâce à une de ces manoeuvres hautement contestées que la Caisse met la main sur la réserve foncière de Steinberg, devenant ainsi détentrice du plus important portefeuille immobilier au Québec, et le deuxième au Canada.

En 1990, le gouvernement Bourassa impose à la Caisse une direction bicéphale. Jean-Claude Delorme et Guy Savard se partagent les deux postes de direction. Ce n'est pas une bonne idée. Il est de notoriété publique que les deux hommes ne s'entendent pas. Des deux, le vrai patron est M. Savard, un professionnel de la finance qui mettra l'accent sur le rendement. Lorsque les deux postes de direction seront réunis, cinq ans plus tard, l'actif frisera les 50 milliards.

Vinrent ensuite les années de Jean-Claude Scraire (1995-2002), marquées par une prolifération sans précédent de filiales dans une foule de domaines. Pendant cette période, la Caisse obtient une modification à la loi, qui lui permet de détenir 70% de son portefeuille en actions (contre 40% auparavant). Mais l'image de l'institution est entachée par des affaires qui tournent mal: dépassement de coûts au nouvel édifice de la Caisse, désastreuse incursion hollywoodienne, scandale de Montréal Mode, et surtout, aventure de Vidéotron, qui se soldera par une radiation de 2 milliards.

Lorsque le banquier Henri-Paul Rousseau prend la relève, en 2002, la Caisse a un grave problème d'image, même si son actif continue de gonfler. M. Rousseau, le plus flamboyant des dirigeants de la Caisse, parviendra en bonne partie à redorer l'image de l'institution, même s'il aura lui aussi vécu sa part de problèmes, dont la mauvaise affaire du papier commercial adossé à des actifs.

La Caisse est aujourd'hui un acteur majeur, et son énorme portefeuille est détenu et contrôlé par des Québécois. À travers ses hauts et ses bas, ses erreurs et ses bons coups, ses bonnes et mauvaises années, l'institution est, exactement comme le prédisait Jean Lesage il y a 43 ans, le plus puissant levier économique et financier que le Québec a jamais eu.