Alors que le Congrès américain soupèse les mérites d'un sauvetage de 14 milliards US des constructeurs automobiles, tous les yeux se tournent vers Ottawa. Que fera le gouvernement de Stephen Harper pour secourir les fabricants de voitures et de pièces qui font tourner l'économie de l'Ontario?

Alors que le Congrès américain soupèse les mérites d'un sauvetage de 14 milliards US des constructeurs automobiles, tous les yeux se tournent vers Ottawa. Que fera le gouvernement de Stephen Harper pour secourir les fabricants de voitures et de pièces qui font tourner l'économie de l'Ontario?

Les filiales canadiennes des trois grands de Detroit réclament une aide de six milliards de dollars aux gouvernements du Canada et de l'Ontario. Le président de Chrysler Canada, Reid Bigland, a même lancé un avertissement lourd de menaces la semaine dernière: sans aide d'urgence - idéalement avant Noël - les emplois partiront ailleurs et les deux usines de Chrysler en Ontario mourront à petit feu.

Stephen Harper, qui n'a pas exactement la réputation de «Monsieur Bailout», s'est dit prêt à agir prestement pour se porter à la rescousse de l'industrie canadienne. Son gouvernement pourrait même intervenir avant le dépôt du budget, le 27 janvier.

Toutefois, le premier ministre pose ses conditions. «Il n'y aura pas de chèques en blanc», a-t-il dit sur les ondes de la chaîne anglaise CBC Newsworld.

«Nous devons nous assurer que nous n'offrons pas une grosse pile d'argent et que les emplois disparaissent de toute façon», a-t-il ajouté.

Cette prudence est sage, même si elle inquiète les travailleurs canadiens de l'industrie. En effet, on ignore tout des conditions qui seront assorties aux prêts d'urgence du gouvernement américain. Ces conditions seront négociées par la personne qui sera désignée par le gouvernement américain pour superviser le programme d'aide aux constructeurs automobiles américains.

Il est déjà acquis que le futur «tsar de l'auto», comme ce négociateur est surnommé, refusera de renflouer les usines canadiennes avec l'argent des contribuables américains -ce qui est tout à fait normal. Mais la grande crainte, c'est qu'en échange de l'aide du gouvernement américain, le tsar de l'auto puisse exiger le rapatriement d'emplois des usines du Canada vers celles aux États-Unis.

Voilà pourquoi le gouvernement de Stephen Harper doit attendre de prendre connaissance des plans de restructuration des trois grands de Detroit et moduler l'aide du Canada en conséquence.

Les gouvernements de l'Ontario et du Canada insistent pour que l'aide canadienne soit rattachée au maintien d'emplois au Canada. À l'évidence, l'industrie nord-américaine devra réduire sa capacité de production, en raison de la baisse marquée de la demande de véhicules. Toutefois, les coupes au Canada ne devraient pas être disproportionnellement plus lourdes.

L'ennui, c'est qu'Ottawa et Queen's Park auront fort à faire pour en convaincre Detroit. Le problème vient du fait que la rémunération globale des travailleurs canadiens serait nettement plus élevée que celle des travailleurs américains employés par les mêmes entreprises. (L'écart est encore plus marqué avec les travailleurs nord-américains employés par des fabricants japonais comme Honda.)

C'est la conclusion à laquelle en vient Tony Faria, professeur de marketing à l'Université Windsor. Ce spécialiste de l'industrie de l'auto a calculé que, lorsque les contrats de travail récemment négociés entreront pleinement en vigueur, les employés canadiens des trois grands de Détroit gagneront 27$ de plus de l'heure que leurs camarades américains.

Avant la dernière ronde de négociations, les coûts des employés étaient presque comparables. La rémunération des employés canadiens (incluant le salaire, les avantages sociaux et le régime de retraite) s'élevait à 77$ de l'heure. Ce montant se comparait à la rémunération américaine, de 73$ de l'heure, d'autant qu'à l'époque, le huard était à parité avec le dollar américain.

Mais le syndicat américain United Auto Workers (UAW) s'est résigné à des concessions dans les dernières négociations, dont des clauses dites orphelin. D'ici 2012, la rémunération globale moyenne d'un salarié appartenant au UAW sera de seulement 52$ de l'heure, prévoit le professeur Faria. En comparaison, la rémunération d'un salarié appartenant au Travailleurs canadiens de l'automobile (TCA) sera de 79$ de l'heure.

«Le fait que les membres des TCA sont les plus coûteux au monde ne place vraiment pas le Canada en bonne posture», note en entrevue téléphonique l'analyste de l'industrie automobile Dennis DesRosiers.

Les TCA contestent l'étude du professeur Faria. Ils jugent que les obligations en matière de régime de retraite n'ont pas à être considérées dans le calcul de la rémunération horaire, puisque les constructeurs devront les acquitter, quoi qu'il advienne. Ils soulignent aussi le fait que le dollar canadien s'est considérablement déprécié depuis le début de la crise financière, de sorte que la rémunération des membres des TCA reste concurrentielle.

Même à supposer que ce soit vrai, il reste que les dirigeants des UAW, confrontés à la perspective d'une faillite de l'un des trois grands, sont maintenant prêts à considérer de nouvelles concessions pour sauver les constructeurs et leurs emplois.

Pendant ce temps, les TCA ne veulent rien entendre. Ils sont prêts à chercher des moyens d'accroître la productivité, mais pas à accepter une diminution de salaire ou une baisse de leurs avantages sociaux.

«C'est une crise financière mondiale et les travailleurs n'y sont pour rien», a dit Ken Lewenza, président des TCA, lors d'une conférence à la fin novembre.

Il est vrai que les travailleurs ne sont aucunement responsables des excès de Wall Street. Pas plus qu'ils n'ont eu leur mot à dire dans les mauvaises décisions prises par les constructeurs, comme la qualité discutable des voitures, leur design ennuyeux ou leur penchant en faveur des véhicules utilitaires sport. Dans son mea-culpa cette semaine, General Motors s'est aussi autocritiqué pour avoir octroyé des rémunérations trop généreuses: le constructeur n'en avait pas les moyens !

N'empêche, les TCA devraient faire un bout de chemin, d'autant qu'ils appellent les contribuables à la rescousse. Après tout, ce sont leurs emplois qui sont en jeu. Il y aura toujours moyen de renégocier les salaires à la hausse si l'industrie nord-américaine se tire de ce mauvais pas - ce qui est loin d'être acquis. Mais avec l'industrie au bord de l'abîme, l'attitude actuelle des TCA est irresponsable, pour ne pas dire suicidaire.