Je suis entré sur le marché du travail en 1961, il y a presque un demi-siècle, et il m'arrive souvent de penser aux bouleversements qui ont secoué la vie économique et financière du Québec depuis ce temps.

Je suis entré sur le marché du travail en 1961, il y a presque un demi-siècle, et il m'arrive souvent de penser aux bouleversements qui ont secoué la vie économique et financière du Québec depuis ce temps.

En ce lendemain de la Saint-Jean, il serait peut-être pertinent de revoir le chemin parcouru. Deux choses, entre autres, sautent aux yeux.

Un: la place des Québécois francophones dans le monde des affaires. En 1961, pratiquement toutes les entreprises québécoises de quelque envergure étaient entre les mains des anglophones.

Bien sûr, il y avait Jean-Louis Lévesque, Dupuis Frères, un quarteron de petites banques (ce n'est qu'en 1979, avec la fusion de la Banque Canadienne Nationale et de la Banque Provinciale, que le Québec se dotera d'une véritable institution bancaire d'envergure internationale), quelques entreprises familiales. Le Mouvement Desjardins, bien que déjà âgé de plus de 60 ans à l'époque, était encore tout petit.

Ce n'est qu'en 1964 que son actif franchira le cap du milliard (il dépasse les 150 milliards aujourd'hui). La Caisse de dépôt n'existait pas encore.

Hydro-Québec existait mais n'était qu'une compagnie d'électricité parmi d'autres (contrairement à une opinion assez largement répandue, Hydro n'a pas été créée avec la nationalisation de l'électricité, sous Jean Lesage, mais au début des années 40 par le gouvernement d'Adélard Godbout -à mon avis un des meilleurs, et hélas! un des plus méconnus, des premiers ministres québécois; aujourd'hui, seul un minuscule village de la Côte-Nord rappelle sa mémoire).

Toujours est-il que tout le reste, la forêt, les mines, la finance, le commerce de détail, le manufacturier, les transports, la construction, tout cela formait autant de chasses gardées où un Canadien français, même parfaitement bilingue, ne pouvait guère espérer monter plus haut que contremaître ou chef de service.

Aujourd'hui, on ne compte plus le nombre d'entreprises québécoises de grande envergure: Bombardier, Jean-Coutu, SNC-Lavallin, Québécor, Agropur, CGI, Rona, Cascades, Tembec, Metro, Power, Transcontinental, Alimentation Couche-Tard, et je pourrais continuer la liste longtemps.

Ce n'est pas tout: la plupart des entreprises étrangères installées au Québec font maintenant appel à des Québécois francophones pour occuper les postes de la haute direction. Tout cela aurait été proprement impensable il y a 50 ans à peine.

Autre changement profond: les progrès des Québécois en matière de finances personnelles. Ici, nous parlons du jour et de la nuit.

En 1961, rares étaient les Québécois qui savaient ce qu'était une hypothèque, encore plus rares ceux qui pouvaient en planifier le remboursement, et rarissimes ceux qui détenaient des actions. Seuls quelques-uns pensaient à épargner en vue de la retraite ou pour financer les études des enfants.

Je ne prétends pas que tous sont devenus des experts, loin de là. Mais mon expérience du marché du travail, dont 33 ans comme journaliste spécialisé en économie et finance, me permet d'affirmer que les Québécois, dans l'ensemble, maîtrisent infiniment mieux les mécanismes de l'épargne et du crédit que dans les années 60. Cela ne se compare même pas.

Après les bonnes nouvelles, les mauvaises. Malgré les progrès impressionnants des Québécois dans le milieu des affaires et dans le monde des finances personnelles, le Québec ne cesse de reculer dans plusieurs dossiers stratégiques. Sur une longue période, les chiffres font peur.

Recul démographique, d'abord. Le taux de natalité s'est effondré, le solde migratoire interprovincial est négatif, et le Québec attire peu d'immigrants. Résultat: en 1961, le Québec comptait pour 29% de la population canadienne. Cette proportion se situe aujourd'hui à 23%.

Recul sur le plan des investissements, ensuite. Déjà, dans les années 1960, les investissements privés et publics au Québec étaient sensiblement inférieurs à son poids démographique; or, la situation s'est encore détériorée depuis. Ainsi, en 1961, le Québec attirait 24% des investissements au Canada; aujourd'hui, c'est tombé à 18%.

Enfin, recul tragique sur le front de l'économie. Le produit intérieur brut (PIB) du Québec, c'est-à-dire la taille de son économie, représentait 28% du total canadien en 1961; cette année, il est descendu à 19%. Laissons-nous sur un chiffre qui fait réfléchir. Le PIB par habitant, au Québec, se situe présentement à 37 700$. Si on pouvait, d'un coup de baguette magique, rétablir le poids économique du Québec à son niveau de 1961, il passerait à 55 600$...