Pouf! En quelques secondes de négociation à l'ouverture de la Bourse hier matin, ce sont près de 4 milliards de dollars en capitalisation boursière qui se sont volatilisés.

Pouf! En quelques secondes de négociation à l'ouverture de la Bourse hier matin, ce sont près de 4 milliards de dollars en capitalisation boursière qui se sont volatilisés.

La faute à qui? se demandent les petits actionnaires du conglomérat BCE d'un bout à l'autre du pays.

Il y a quelque chose d'un peu futile à montrer du doigt le coupable, au surlendemain de ce jugement de la Cour d'appel du Québec aux conséquences titanesques pour la société mère de Bell Canada. (Et, plus largement, pour les conseils d'administration du pays qui devront dorénavant traiter leurs détenteurs d'obligations aux petits soins.)

N'empêche, ce rebondissement est complètement aberrant. Il y a de longs mois que le conseil de BCE aurait pu tuer le problème dans l'oeuf, soit la poursuite des détenteurs d'obligations qui se jugent floués par la transaction d'achat par emprunt pilotée par la caisse de retraite ontarienne Teachers'.

La valeur des obligations au centre de la controverse totalise 5,2 milliards de dollars. Or, la dépréciation de ces titres, à la suite du dévoilement de cette transaction qui aurait alourdi de 34 milliards de dollars le bilan de l'entreprise, était estimée à 18% par le juge de première instance, Joël Silcoff. On parle donc d'une somme d'un peu moins de 940 millions de dollars.

Clairement, BCE aurait pu en arriver à un compromis avec les détenteurs pour une somme moindre, plutôt que de courir le risque de faire dérailler cette transaction de 51,7 milliards de dollars. Pourquoi ne pas avoir acheté la paix?

Un an plus tard, donc, BCE se retrouve avec un méchant oeil au beurre noir. Encore une fois. Rappelez-vous quand le conglomérat de Montréal avait voulu se réincarner en fiducie de revenus. Le projet de Michael Sabia avait provoqué l'ire du ministre fédéral des Finances, Jim Flaherty, qui avait tué peu après la poule aux oeufs d'or.

Aujourd'hui, l'entreprise est encore plus perdue que jamais. C'est la «certitude de l'incertitude» titrait avec justesse l'analyste Greg MacDonald de la Financière Banque Nationale.

La probabilité que la transaction se conclut au prix de 42,75$ par action semble plus éloignée que jamais - elle n'est que de 20% suppute l'analyste Jeffrey Fan de la firme UBS. Et cela, malgré la position officielle de Teachers', qui ânonne qu'elle «compte toujours conclure la transaction», dixit sa porte-parole, Deborah Allan.

Même en supposant que la Cour suprême du Canada accepte d'entendre la cause de BCE, ce qui est probable compte tenu des répercussions de ce jugement qui outrepassent cette seule affaire, toute décision prendra de longs mois à venir. Or, les banquiers sont seulement tenus de financer cette transaction jusqu'en novembre prochain. C'est serré.

Or, comme tout le monde le sait, les banquiers récalcitrants vont sauter sur le moindre prétexte pour se défiler de leur obligation de prêter des milliards à des conditions fort avantageuses, compte tenu du resserrement du crédit qui s'est opéré depuis un an. Ce sera merci, bonsoir!

Il faut se demander, aussi, jusqu'à quel point Teachers' et ses partenaires sont encore déterminés à conclure cette transaction dont les frais de résiliation sont de 800 millions de dollars. Soit dit en passant, ce montant coïncide presque avec le manque à gagner des détenteurs d'obligations à long terme!

Les derniers résultats de BCE révèlent à quel point la transformation de Bell Canada d'une compagnie de téléphone traditionnelle en une société de télécoms d'avenir est laborieuse. Des profits en baisse, des revenus qui stagnent et une croissance à pas de tortue des abonnés du sans-fil: ce n'est rien pour rendre BCE plus séduisante. Et avec toute cette incertitude qui sape le moral des employés, il serait étonnant que la tendance se renverse de sitôt.

À force de se faire demander s'il est vraiment, vraiment sûr de vouloir acheter BCE, le grand patron de Teachers', Jim Leech va peut-être dire: «Ben, peut-être pas finalement».

BCE se retrouve donc accoudée seule au bar, comme une célibataire désespérée qui a mal vieilli. Et tous les gars qui se battaient pour lui offrir un verre dans l'espoir de finir la soirée avec elle ont pris la poudre d'escampette.

Aucun des fonds d'investissement privés qui songeaient à privatiser BCE ne reviendront à la charge maintenant que les banques ne prêtent plus de l'argent comme de l'eau.

Reste le grand concurrent Telus, le seul qui possède un véritable intérêt à combiner les deux entreprises de télécoms. Nombreux sont les analystes financiers qui jugent que l'entreprise de Colombie-Britannique sera tiède à cette idée après avoir jonglé avec elle l'an dernier.

Telus aurait autant de mal que les autres à financer cette acquisition par des emprunts. Et ses actions qui ont perdu 27% de leur valeur au cours de la dernière année ne seraient pas d'un grand secours. Par ailleurs, la domination des deux entreprises dans le sans-fil, avec une part de marché frisant le 60%, ferait sourciller le Bureau de la concurrence.

Cela, c'est l'idée généralement reçue. Mais l'arrivée de nouveaux concurrents dans le sans-fil à la suite des prochaines enchères de fréquences pourrait bien bouleverser le paysage.

C'est sans parler du fait que Telus pourra maintenant mettre la main sur BCE à un prix d'aubaine. Une telle acquisition doit vraiment démanger Darren Entwistle. Et ce n'est pas le conseil d'administration ou la haute direction de BCE qui pourrait opposer une forte résistance. Avec ce qui vient de survenir, en plus de tout le reste, ces dirigeants n'ont plus aucune crédibilité.