Les élections américaines suscitent beaucoup d'intérêt au Canada. C'est compréhensible: la campagne électorale au fédéral est terriblement terne.

Les élections américaines suscitent beaucoup d'intérêt au Canada. C'est compréhensible: la campagne électorale au fédéral est terriblement terne.

Aux États-Unis, on a eu droit à une course passionnante entre Barack Obama et Hillary Clinton, deux personnalités flamboyantes, sans compter les rebondissements de la campagne de John McCain et la spectaculaire entrée en scène de Sarah Palin. On ne s'ennuie pas au sud du 45e parallèle!

Les sondages montrent que les Canadiens sont plutôt enclins à appuyer Barack Obama. Peut-être le regretteront-ils. Les démocrates sont traditionnellement protectionnistes, et M. Obama a jonglé avec l'idée de rouvrir l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). En 20 ans de libre-échange, le surplus commercial canadien à l'égard des États-Unis est passé de 17 à 85 milliards.

Tous ces milliards ont contribué au maintien ou à la création de centaines de milliers d'emplois au Canada. Mais les Américains ont déjà démontré, et deux fois plutôt qu'une, qu'ils peuvent être des partenaires particulièrement malcommodes. L'élection de M. Obama n'annoncerait rien de bon sous ce rapport. À l'inverse, John McCain est ouvertement pro-libre-échange.

Si le candidat Obama est si populaire au Canada, c'est sans doute parce qu'il paraît épouser une vision sociale-démocrate chère à beaucoup de Canadiens: valeurs progressistes, programmes sociaux plus généreux, rôle de l'État dans l'économie, Au contraire, les républicains sont davantage perçus comme les copains de la haute finance, ennemis de la réglementation, purs et durs partisans des lois du marché. Autrement dit, à gauche les démocrates, à droite les républicains.

Cette perception est en partie fondée, mais en partie seulement. La réalité est beaucoup plus compliquée que cela.

Il existe chez les démocrates une puissante aile conservatrice qui, en comparaison, donne à Stephen Harper des airs de social-démocrate suédois. Il s'agit du mouvement Blue Dog, ainsi nommé parce que ses premiers partisans avaient pris l'habitude de se réunir dans les bureaux de deux représentants démocrates de Louisiane, tous deux amateurs des tableaux de l'artiste cajun George Rodrigue, célèbre pour ses représentations de chiens bleus.

L'étoile montante du mouvement Blue Dog est un jeune représentant de la Caroline-du-Nord, Heath Shuler, 36 ans, fortement opposé à l'avortement, au contrôle des armes à feu, à l'assurance-santé publique, farouche partisan du resserrement des contrôles à l'immigration. Son collègue du Tennessee, Lincoln Davis, mène une campagne énergique contre le mariage gai et flirte avec le Tennessee Conservative Union, un groupe de droite radicale. Vous avez bien lu: des démocrates, des membres éminents du parti de Barack Obama.

Et ils sont loin d'être les seuls. Le mouvement Blue Dog compte une soixantaine de représentants et sénateurs au Congrès, et des centaines d'autres dans les législatures des États.

La vaste majorité de ces démocrates ont approuvé les baisses d'impôts du président Bush et appuyé l'intervention américaine en Irak.

Parlons maintenant des RINO, C'est l'aile progressiste du Parti républicain. Avec une certaine condescendance, les républicains conservateurs ont baptisé leurs collègues progressistes Republicans In Name Only (RINO). L'acronyme leur est resté.

Les républicains de la mouvance RINO, dans les enjeux sociaux (avortement, mariage gai, programmes sociaux, criminalité) sont des progressistes. Certains, comme l'ex-sénateur du Rhode Island Lincoln Chafee, ont carrément refusé d'appuyer George W. Bush aux élections de 2004. Un autre sénateur républicain, Charles Hagel, est allé jusqu'à appuyer John Kerry.

Sur le plan fiscal, la plupart des RINO sont conservateurs, mais il s'en est trouvé près d'une dizaine pour s'opposer aux baisses d'impôts du président Bush.

Identifier les démocrates à la gauche et les républicains à la droite, c'est prendre un dangereux raccourci. En réalité, les RINO républicains sont souvent plus à gauche que les Blue Dogs démocrates, et les deux mouvances sont loin d'être marginales dans leurs partis respectifs.

De plus, il suffit de revenir sur certaines décisions historiques de quelques présidents pour voir que tout n'est pas que blanc ou noir.

Quel président a plongé les États-Unis dans la guerre du Vietnam? Kennedy, un démocrate, le même qui a d'ailleurs autorisé le fiasco de le baie des Cochons. Et c'est un autre démocrate, Johnson, qui a porté cette sale guerre à son apogée.

Et qui a ouvert les États-Unis sur la Chine communiste et signé les premiers accords sur la limitation des armes stratégiques? Nixon, un républicain.

Qui a lâché la bombe atomique sur les populations civiles d'Hiroshima et Nagasaki? Truman, un démocrate.

Qui a boycotté les Jeux olympiques de Moscou par pure idéologie? Carter, un démocrate.

Qui a développé une excellente relation avec le chef du Kremlin, chose impensable quelques années plus tôt? Reagan, un républicain.

Ces dernières décennies, il est vrai que les Américains progressistes ont plutôt tendance à rallier les démocrates, et que les conservateurs se sentent plus à l'aise chez les républicains. Mais la présence des Blue Dogs et des RINO, ainsi que de nombreux exemples historiques, nous rappellent à quel point il faut se méfier des généralisations.