Il est beaucoup question, depuis quelque temps, de la taxe sur le capital et de ses effets pervers sur l'investissement et l'emploi.

Il est beaucoup question, depuis quelque temps, de la taxe sur le capital et de ses effets pervers sur l'investissement et l'emploi.

Dans son budget de jeudi, la ministre Monique Jérôme-Forget a annoncé l'abolition de cette taxe pour les entreprises manufacturières. Personne ne peut s'opposer à cette mesure, et surtout pas le Parti québécois: quand elle était ministre des Finances, Pauline Marois avait également reconnu les effets dévastateurs de la taxe sur le capital, et proposé un échéancier pour son élimination progressive.

Parce qu'elle touche seulement les entreprises et qu'elle n'est pas toujours facile à comprendre, la taxe sur le capital n'est évidemment pas un grand sujet de préoccupation pour le commun des mortels. Pourtant, elle affecte indirectement notre niveau de vie.

Qu'est-ce au juste que cette taxe sur le capital, et pourquoi est-elle considérée comme une aberration par la presque totalité des fiscalistes?

La taxe sur la capital est une invention très ancienne. Sous sa forme la plus primitive, elle aurait vu le jour en 1783, dans la Russie de Catherine II. Le commerce, surtout contrôlé par des marchands allemands, était très actif sans les pays baltes (la région qui comprend aujourd'hui l'Estonie, la Lettonie et la Lituanie, et qui faisait à l'époque partie de l'empire russe).

Les fonctionnaires russes se creusaient les méninges pour trouver le moyen de faire profiter le trésor public de toute cette activité. Comme ils n'avaient aucune idée des profits réalisés par les commerçants, il n'était pas question d'un impôt sur les profits. En revanche, pour commercer, il faut réaliser des immobilisations: ouvrir des comptoirs, des entrepôts, des succursales, les garnir de mobilier et de marchandises, acheter des bateaux, etc. Tout cela prend de l'argent, et ces investissements sont assez faciles à évaluer. Les fonctionnaires russes ont donc décidé de lever un impôt de 1% sur tout le capital investi par les marchands allemands.

La formule s'est rapidement répandue et de nombreux pays l'ont appliquée avant même de penser à imposer les revenus. Du point de vue du fisc, elle présente deux avantages:

> Les immobilisations des entreprises sont des biens tangibles et faciles à évaluer.

> L'entreprise doit payer la taxe même quand elle perd de l'argent. Pour les gouvernements, c'est donc une source de revenus d'une grande stabilité.

Au Canada, la première taxe sur le capital a été introduite en 1947 au Québec, par le gouvernement de Maurice Duplessis. Sept autres provinces ont suivi, mais pas le fédéral. En fait, à Ottawa, le ministre Michael Wilson imposera une taxe sur le capital en 1985, mais celle-ci sera éliminée en 2006 par Jim Flaherty.

À mesure que les administrations publiques trouvaient et développaient d'autres sources de recettes fiscales (taxes spécifiques, impôts fonciers, impôts sur le revenu des particuliers, etc), la taxe sur le capital perdait de son importance. Lors de son abolition par Jim Flaherty, la taxe fédérale rapportait à peine un demi de 1% des recettes totales du gouvernement fédéral.

Aujourd'hui, la taxe sur le capital est considérée comme anachronique et a été abandonnée par presque tous les pays du monde.

On comprendra mieux son effet pervers en jetant un coup d'oeil sur son fonctionnement.

Prenons un taux d'imposition de 0,4% (c'est assez typique des taux en vigueur ces dernières années dans les provinces canadiennes).

Prenons maintenant une petite entreprise qui emploie une vingtaine de personnes. Les propriétaires ont investi quatre millions pour construire et équiper l'entreprise. Ils devront donc payer, année après année, 0,4% de ce montant, soit 16 000$, en taxe sur le capital. Au bout de deux ans, ils décident d'emprunter un million pour moderniser leurs installations. La taxe vise non seulement les capitaux propres de l'entreprise, mais aussi sa dette à long terme. Parce qu'elle a investi pour augmenter sa productivité, la petite entreprise devra maintenant assumer une facture annuelle de 20 000$ en taxe sur le capital, qu'elle fasse ou non des profits.

Quand l'entreprise perd de l'argent, la taxe sur le capital a pour effet d'augmenter ses pertes. Quand elle fait des profits, la taxe freine sa capacité d'investir. C'est absurde. Ceux qui investissent pour créer des emplois et de la prospérité devraient être récompensés, pas pénalisés.

Mais le gouvernement, en supprimant la taxe sur le capital, ne se prive-t-il pas de revenus importants?

Au fédéral, on l'a vu, la taxe ne rapportait à peu près rien. Au Québec, c'est négligeable également. Par ailleurs, la taxe contribue certainement à freiner l'investissement. Le ministère fédéral des Finances calcule qu'à chaque fois qu'il baisse la taxe de 1$, le gouvernement récolte 90 cents du simple fait de la croissance économique plus forte, et que cette récupération augmente avec le temps.

Sur le plan économique, la taxe sur le capital n'est donc rien de moins qu'une nuisance pure et simple, d'autant plus que les administrations publiques, depuis 1783, ont trouvé bien d'autres moyens de s'assurer des revenus stables.