Le moins que l'on puisse dire, pour tous les gens qui s'intéressent le moindrement à la politique, c'est que Brian Mulroney a réussi à voler la vedette de la rentrée, avec ses mémoires.

Le moins que l'on puisse dire, pour tous les gens qui s'intéressent le moindrement à la politique, c'est que Brian Mulroney a réussi à voler la vedette de la rentrée, avec ses mémoires.

Déjà, grâce à une «fuite» possiblement et savamment orchestrée par Luc Lavoie (ancien conseiller politique de Mulroney et vice-président de Quebecor), Le Journal de Montréal a commencé à publier des extraits sensationnels de l'ouvrage.

Cela sent le règlement de comptes à plein nez. De toute évidence, Brian Mulroney en a gros sur le coeur. Il y a de quoi.

Vendredi, dans La Presse, mon collègue Alain Dubuc démontrait avec brio à quel point M. Mulroney a consacré une grande partie de ses énergies, comme premier ministre, a payer les pots cassés par Pierre Elliott Trudeau.

La plupart des commentateurs retiennent que Trudeau a été le véritable responsable du torpillage de Meech, ce qui a déclenché le maelström politique que l'on sait.

Ce dont on parle moins, c'est l'héritage Trudeau en économie et finance. Peu importe l'angle sous lequel on aborde la question, une seule conclusion s'impose: c'est un désastre.

Le gouvernement Trudeau, surtout à la fin des années 70 et de 1980 à 1984, a fièrement posé en champion de l'indépendance économique canadienne, en particulier à l'égard des États-Unis.

C'est ainsi qu'est née l'Agence de tamisage des investissements étrangers, mieux connue à l'époque sous son acronyme anglais de FIRA. Belle et noble attention, certes, mais intégralement stupide sur le plan économique.

Alors que toutes les administrations publiques, partout dans le monde, se livrent une concurrence féroce pour attirer les investissements, le Canada se payait le luxe de jouer au repoussoir.

Avec les conséquences que l'on devine. Si on exclut le bref intermède de neuf mois de Joe Clark en 1979-1980, le régime Trudeau a duré 16 ans, de mai 1968 à juin 1984. Pendant cette période, le nombre de chômeurs canadiens a presque quintuplé, passant de 300 000 à 1,4 million.

Le taux de chômage est passé de 4,3 à 11,7%. On peut certainement penser que FIRA, en crachant sur l'investissement étranger, assume une large part de cette dégradation.

C'est aussi le gouvernement Trudeau qui a lancé la ruineuse Politique énergétique nationale, où on a naïvement cru qu'il suffisait de nationaliser à prix fort une pétrolière d'importance secondaire pour contrôler le marché.

Les seuls gagnants ont été les actionnaires belges de Petrofina! La société issue de la nationalisation, Petro-Canada, n'a jamais réussi à contrôler quoi que ce soit, et a fini par être privatisée.

L'autre volet de la politique énergétique, la «canadianisation» de l'industrie pétrolière, s'est soldée par un fiasco ridicule: Ottawa a subventionné les frères Reichmann de Toronto pour fermer une raffinerie de Montréal-Est. Brillant!

Des années après cette folle aventure, il ne reste plus de la politique énergétique de Trudeau qu'un amer et coûteux souvenir.

Mais tout cela n'est rien à côté du dérapage des finances publiques fédérales, qui a plongé le Canada dans une impasse financière d'une ampleur sans précédent dans les années 90.

Pour s'en sortir, il a fallu rogner sur la qualité des services publics, comprimer les transferts aux provinces, écraser les contribuables, sabrer les subventions. Tous les Canadiens, d'une façon ou de l'autre, ont dû faire des sacrifices pour éviter le naufrage.

Le véritable responsable de ce gâchis, c'est le gouvernement Trudeau. La descente aux enfers s'est faite, si l'on peut dire, en deux périodes.

Aux élections de 1972, les libéraux de Pierre Elliott Trudeau se retrouvent à la tête d'un gouvernement minoritaire, avec seulement 109 sièges contre 107 pour les conservateurs de Robert Stanfield. La balance du pouvoir appartient aux 31 députés néo-démocrates de David Lewis.

Pour se maintenir au pouvoir, Trudeau s'appuie sur le NPD, et multiplie les nouvelles dépenses de programmes, dont une augmentation spectaculaire des pensions de vieillesse et des salaires de la fonction publique.

Les premières années, l'impact n'est pas trop grave sur les finances publiques. Mais comme il s'agit de dépenses récurrentes, elles finissent par avoir un effet dévastateur sur les résultats du gouvernement: le déficit passe de 780 millions en 1971, à deux milliards en 1974 (année où les libéraux redeviennent majoritaires, ce qui ne les empêche pas de continuer à dépenser), à 5,7 milliards en 1976, à 12,6 milliards en 1979, alors que le gouvernement Trudeau est défait par Joe Clark.

En moins de 10 ans, le régime Trudeau a donc multiplié le déficit par 16. Lorsque les dépenses sont supérieures aux revenus, le gouvernement doit forcément emprunter pour combler la différence.

C'est ainsi que la dette fédérale nette, pendant ces neuf années, est passée de 18 à 61 milliards. Fin de la première période.

En 1980, les libéraux reprennent le pouvoir. Les dépenses recommencent à augmenter beaucoup plus rapidement que les revenus.

Ainsi, en 1980-1981, les dépenses atteignent 62 milliards, contre des revenus de 49 milliards, pour un déficit de 13 milliards. C'est déjà énorme. En 1984, les dépenses ont grimpé à 109 milliards, alors que les revenus atteignent à peine 71 milliards.

À ce stade, avec un déficit de 38 milliards, l'équivalent de 54% des dépenses, on peut dire que le gouvernement a perdu le contrôle des finances publiques.

À sa décharge, il faut dire deux choses. En 1981-1982, le gouvernement Trudeau, comme toutes les autres administrations publiques, est confronté à la pire récession depuis la grande crise des années 30.

Les médias annoncent quotidiennement leur lot de faillites, fermetures, mises à pied. C'est un choc terrible pour les finances publiques fédérales. Les dépenses, surtout au chapitre de l'assurance-emploi, augmentent rapidement, pendant que les recettes fiscales stagnent.

D'autre part, notamment sous l'influence de l'économiste John Kenneth Galbraith, la plupart des administrations publiques de l'époque croient qu'il faut augmenter les dépenses publiques en temps de récession, ce qui contribue à maintenir l'emploi.

Selon ce credo, le déficit se résorberait de lui-même avec la croissance économique. On sait à quel point, aujourd'hui, ce scénario fantaisiste n'a pas marché. Dans le temps, on ne le savait pas.

Malgré ces réserves, il est clair que le bilan est épouvantablement lourd. En 1984, lorsque Brian Mulroney chasse les libéraux du pouvoir, la dette héritée du régime Trudeau frise déjà les 250 milliards et le premier souci du nouveau ministre des Finances, Michael Wilson, est de trouver 30 milliards pour payer les intérêts.

On connaît la suite. Pendant plus de 10 ans, malgré les énormes sacrifices imposés aux Canadiens, le gouvernement fédéral devra emprunter des dizaines de milliards par année uniquement pour payer les intérêts sur une dette qui, juste à cause de ces intérêts, n'arrêtait pas de gonfler.

On peut reprocher aux conservateurs de ne pas avoir lutté assez énergiquement contre le cancer qui rongeait les finances publiques. N'empêche: c'est en grande partie aux mesures draconiennes prises par Michael Wilson (désindexation, surtaxes, réforme fiscale, réforme de l'assurance-emploi), mesures auxquelles le libéral Paul Martin s'est bien gardé de toucher, que le Canada s'est finalement sorti du trou financier où l'avait plongé Pierre Elliott Trudeau.