Le quotidien torontois Globe and Mail a créé toute une commotion en annonçant que le gouvernement Harper avait l'intention de privatiser la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL).

Le quotidien torontois Globe and Mail a créé toute une commotion en annonçant que le gouvernement Harper avait l'intention de privatiser la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL).

De nombreuses voix se sont élevées contre cette idée, et on peut comprendre pourquoi: la SCHL est un des rares organismes gouvernementaux qui rapportent de l'argent, et même beaucoup d'argent: un milliard de profits par année, rapporte le journal torontois. Ce n'est pas tout. À une époque où les citoyens sont de plus en plus désabusés à l'égard de leurs institutions publiques, la SCHL jouit d'une solide crédibilité et elle a la réputation d'être bien administrée. En 2002, elle a même reçu le prix d'excellence du Conference Board pour la qualité de sa gestion.

On voit donc difficilement quel serait l'intérêt de privatiser un tel joyau. Pour le lobby du logement social et les partis de l'opposition, il vaudrait mieux canaliser les profits de la SCHL vers la construction de logements sociaux.

Il conviendrait d'abord de rappeler que l'article du Globe and Mail est largement fondé sur des rumeurs et des spéculations. D'ailleurs, le gouvernement s'est empressé de nier la nouvelle. Diane Finley, la ministre responsable de la Société, a été on ne peut plus claire: " Il ne nous est jamais venu à l'idée de privatiser la SCHL, a-t-elle déclaré, et les reportages qui disent le contraire sont faux et sans fondement. " La question semble tranchée, du moins pour un temps.

L'incident a cependant débouché sur un déplorable exercice de désinformation, dont le Globe and Mail est en partie responsable. Contrairement à ce qu'on a répété à satiété cette semaine, la SCHL ne fait pas de profits et n'a jamais fait de profits. Au contraire, elle coûte une fortune aux contribuables.

La Société a été fondée en 1946 pour répondre aux besoins de logement des militaires canadiens qui rentraient au pays. Avec les années, son mandat a considérablement évolué. Aujourd'hui, elle s'occupe principalement de financer des logements sociaux, de garantir des hypothèques et d'offrir une assurance hypothécaire; uniquement en 2005, près de 750 000 logements ont fait l'objet d'un prêt assuré par la SCHL, qui tire l'essentiel de ses profits de cette activité.

Justement, parlons-en, de ces fameux profits.

Le chiffre d'un milliard par année, que nous avons vu plus haut, est pour le moins sujet à caution. En 2005, la Société a déclaré des revenus de 7,3 milliards, et des dépenses de 5,9 milliards. Le bénéfice avant impôts ressort à près de 1,5 milliard. De ce montant, 462 millions ont été payés en impôts. Reste un profit net de un milliard.

Voici maintenant quels ont été les profits nets des quatre années précédentes: 950 millions en 2004, 667 l'année précédente, 544 l'année d'avant, 345 millions enfin en 2001. On conviendra que c'est assez loin d'un milliard par année!

Ce n'est pas tout. La Société reçoit à chaque année des subventions du gouvernement fédéral. Ces subventions sont financées à même les fonds généraux du gouvernement, c'est-à-dire avec vos taxes.

Or, dans ses livres, la SCHL ajoute ces subventions fédérales à ses revenus. Il ne faut voir là aucun tour de passe-passe comptable. Pour le gouvernement, il s'agit d'une dépense, pour la SCHL, il s'agit d'un revenu. Cette procédure est parfaitement normale; elle est approuvée par le Bureau de la vérificatrice générale. Tout cela est d'ailleurs clairement indiqué dans les états financiers de la Société (1).

Or, ces crédits parlementaires comptent pour une partie importante de ses revenus. En fait, sans cet argent, crédits, la SCHL accuserait d'importants déficits année après année.

Ainsi, le rapport annuel de 2005 montre que la SCHL a touché 2,1 milliards en crédits parlementaires cette année-là. Ses revenus que l'on pourrait qualifier d'autonomes, c'est-à-dire provenant de ses activités d'assurances et du rendement sur ses placements, s'élèvent à près de 5,3 milliards. Nous avons vu que ses dépenses, toujours en 2005, ont atteint 5,9 milliards. Les revenus autonomes sont donc insuffisants pour couvrir les dépenses. Privée de ses crédits parlementaires, la SCHL n'aurait pas terminé l'exercice avec un profit de un milliard, mais avec un déficit de 612 millions.

Le même calcul, appliqué aux années précédentes, donne le résultat suivant: déficit de 708 millions en 2004, de 1,1 milliard pour chacune des deux années précédentes, et de 1,3 milliard en 2001.

On remarquera que le déficit baisse avec le temps. C'est parce que les revenus autonomes augmentent plus vite que les crédits parlementaires. En 2001, ces crédits représentaient 45 % des revenus de la SCHL; quatre ans plus tard, cette proportion était passée à 28 %.

N'empêche: en cinq ans, la SCHL a touché quelque 10 milliards en crédits parlementaires. Sans cette aide publique, la Société aurait accumulé un déficit de 4,7 milliards pendant cette période.

La SCHL a pour mission de s'assurer que tous les Canadiens ont accès à un logement décent. Depuis maintenant 60 ans, elle s'occupe très bien de cette tâche, et il est normal que les administrations publiques contribuent à son financement.

En revanche, de grâce, que l'on ne vienne pas nous faire accroire que la SCHL est rentable et qu'il faudrait consacrer ses " profits " à multiplier les logements subventionnés, alors qu'elle coûte déjà des centaines de millions aux contribuables.