Disons les choses simplement.

Disons les choses simplement.

C'était déjà délicat de brasser des affaires dans le monde arabo-musulman, avec tous les risques de malentendus et d'incidents diplomatiques. Puis sont survenus les attentats du 11 septembre 2001, et le monde a basculé.

Avec la «guerre au terrorisme», avec la vision manichéenne du monde diffusée en continu sur CNN – «c'est nous contre eux»–, les positions se sont raidies.

Ajoutez à cela le fait d'être une femme, et vos chances de décoller en affaires dans ce coin du monde semblent aussi bonnes que de monter sans passeport dans un avion.

C'est du moins la perception ancrée. Car des femmes d'ici réussissent à percer. Lison Benarroch sillonne le Maghreb et le Proche-Orient pour le compte du Groupe S.M. International, une firme d'ingénierie de Montréal qui emploie 700 salariés.

L'économiste Diana Smallridge conseille la Banque islamique de Développement, un exploit quand l'on sait qu'aucune femme ne travaille au siège social de Djeddah, en Arabie Saoudite.

De leurs succès et de leurs ratés, elles ont tiré des leçons qui valent aussi pour les garçons! Voici donc le petit guide de survie qu'elles ont livré lors d'une conférence organisée récemment par l'Association des femmes en finance du Québec.

Algérie n'égale pas Libye

Cela relève de l'évidence, mais il ne faut pas mettre tous les pays dans le même sac. Entre les pays du Croissant fertile et ceux de la péninsule arabique, où l'Islam est observé de façon rigoureuse, il y a un monde.

Les pays du Croissant fertile (Cisjordanie, Israël, Liban plus des parties de l'Égypte, de l'Irak, de la Jordanie, de la Syrie et de la Turquie) connaissent la guerre depuis plus de 50 ans.

Aussi la survie l'a-t-elle emporté sur la religion, qui est «tuned down» soit réglée à un volume moins fort, explique Lison Benarroch, vice-présidente, développement stratégique du Groupe S.M.

«Si vous n'avez pas suivi les événements politiques depuis 1967 (ndlr : la Guerre des six jours), faites vos devoirs, dit-elle. Sinon, n'y allez pas.»

Il

faut être conscient que la guerre peut éclater à tout moment. Et qu'en raison de l'instabilité politique, les décideurs changent souvent.

«Avec chaque nouvel interlocuteur, on efface tout et on recommence, dit Lison Benarroch. Il faut donc aller vite. Si vous ne pensez pas être capable de signer votre contrat en 12 ou 18 mois au maximum, mieux vaut ne rien faire.»

Des différences sont aussi notables entre les pays du Maghreb. L'Algérie n'a rien à voir avec la Lybie, un pays que Lison Benarroch avoue candidement avoir du mal à saisir. La Tunisie a émancipé les femmes bien avant le Maroc. Mais les deux pays ne sont pas riches.

«Les Marocains ont décidé que, quand tu plies un billet de un dirham en deux, il faut que cela fasse deux dirhams, illustre cette Québécoise d'origine marocaine. C'est embêtant parce qu'on ne peut pas toujours faire ce genre de miracle.»

La Mauritanie, futur pays à la mode, selon cette femme d'affaires, vaut la peine qu'on s'y intéresse. «Si on vous propose d'y aller, sautez sur l'occasion. Le pays a un sous-sol riche, une place géographique intéressante. Dans mon expérience, les gens qui viennent au début prennent les places qui sont à prendre.»

L'Afrique musulmane offre aussi des occasions. Il faut savoir que l'Islam y est pratiqué de façon stricte. Et que les affaires progressent lentement.

«C'est au rythme des branches de palmiers, note Lison Benarroch. La seule façon de les faire aller un peu plus vite, c'est de leur dire, en arrivant le lundi, que vous repartez le mercredi. Si vous leur dites que vous êtes là pour 10 jours, aussi bien aller à la plage.»

Le premier rendez-vous

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les femmes d'affaires n'ont aucun mal à obtenir une rencontre avec un dirigeant ou un décideur politique. Elles auraient même plus de facilité que les gars!

«Ces hommes sont très curieux et intrigués par les femmes étrangères. Aussi, ils portent plus d'attention à mes propositions d'affaires», remarque Diana Smallridge, présidente de International Financial Consulting, une firme de consultants qu'elle a fondée à Ottawa après avoir travaillé pendant 12 ans chez Exportation et Développement Canada.

«C'est lorsque vous déroulez votre tapis qu'il ne faut pas manquer son coup», prévient Lison Benarroch, puisque femmes et hommes ont la même obligation de résultats.

Une erreur souvent commise par les gens d'affaires nord-américains est de faire l'étalage de leurs relations et de leurs contrats pour impressionner leurs futurs clients.

«Ne faites pas de name dropping, sinon, le gars ne voudra pas faire affaires avec vous, dit Lison Benarroch. Il se dira: demain, ce sera mon tour. Parlez de vos succès en termes vagues, ne donnez jamais de chiffres. Vous ne serez jamais assez discrets.»

Décryptage

Dès la fin du premier rendez-vous, vous devriez savoir à quoi vous en tenir. Sinon, vous avez mal décodé votre interlocuteur.

«Ces hommes n'aiment pas dire non aux femmes, alors il faut déterminer ce qui est de la galanterie et ce qui ne l'est pas», dit la vice-présidente du Groupe S.M.

Lison Benarroch décrypte avec humour les formules d'usage. Avec plaisir, pourquoi pas, c'est intéressant, ravi de vous rencontrer sont tous des synonymes de non.

«Quant au On reste en contact, c'est la catastrophe nationale!» Quand un décideur est intéressé, il le fait savoir clairement en réclamant une deuxième rencontre et en la fixant sur le champ.

L'affaire semble bien partie, youpi! Il n'empêche que des pièges se dressent tout le long du parcours. Il faut savoir les contourner. Les vêtements, les repas, le Ramadan sont autant d'occasions de faire bonne ou mauvaise impression. Sans dresser une liste exhaustive, voici quelques rudiments.

Le look hôtesse de l'air»

D'abord, les vêtements. Que l'on se trouve dans un pays où la pratique de l'Islam est rigoureuse ou relâchée, il ne faut jamais s'habiller sexy.

«Il faut que l'on oublie ce que vous portez», dit Lison Benarroch, qui privilégie le costume bleu marin et le look «hôtesse de l'air».

Diana Smallridge n'a pas vraiment eu à se poser la question puisque le chauffeur qui l'attendait à l'aéroport de Djeddah lui a tendu tout de go une abaya, cette robe noire qui couvre de la tête aux pieds. Elle la porte avec un voile à chacun de ses voyages.

«Ce n'est pas une question d'être obligée ou non, mais je sais que je connais plus de succès en m'habillant ainsi, dit-elle. Ils sont très reconnaissants.»

Elle enlève son «attirail», comme elle l'appelle, lorsque ses collègues de la banque l'invitent à le faire. Mais dès qu'elle rencontre un haut dirigeant ou un cadre qui lui est inconnu, elle se couvre.

Les repas sont un autre moment délicat.

«Après trois repas traditionnels, ils auront la gentillesse de vous inviter dans un resto européen, dit Lison Benarroch. Même s'il y a du porc ou du jambon au menu, n'en mangez pas. Cela les dérange.»

La responsable du développement au groupe S.M. refuse aussi les verres d'eau que ses clients lui proposent lors de réunions tenues durant le ramadan. Durant ce mois, les musulmans doivent s'abstenir de manger, de boire, de fumer et d'avoir tout contact avec une femme entre le lever et le coucher du soleil.

Lison Benarroch garde plutôt une bouteille d'eau dans son sac et boit chaque fois qu'elle va aux toilettes! «Dites toujours non, parce que eux, ils en meurent d'envie.»

Dans le même esprit, une femme ne doit jamais tendre la main pour accueillir quelqu'un durant le ramadan, même si c'est un automatisme. Elle doit attendre qu'on la salue d'un hochement de la tête.

En fait, la liste des impairs est archi-longue. Dans le doute, il vaut mieux s'informer, résume Diana Smallridge. C'est ainsi que cette consultante a été contrainte de demander à son client s'il y avait une toilette pour femmes à la Banque islamique de développement. (Il n'y en a pas, pour la petite histoire, mais la banque condamne une toilette lors de ses visites et lui en donne la clé.)

Islamiciser

Cette sensibilité ne doit pas uniquement se refléter à l'habillement et aux repas, mais dans les contrats, ajoute Diana Smallridge. Par exemple, la loi islamique ou charia, l'ensemble des règles qui découlent du Coran et des traditions, interdit l'intérêt dans toutes les transactions financières.

Typiquement, une banque de développement prête de l'argent à un client étranger pour qu'il ait les moyens d'acquérir des biens de son propre pays. Pour contourner le problème, la banque peut acheter les biens directement et les revendre au client avec un léger profit, ce qui n'est techniquement pas de l'intérêt. «Il faut islamiciser les contrats», résume cette spécialiste du commerce international.

Ce n'est qu'en se montrant attentif aux différences culturelles et religieuses que s'établissent des relations étroites. Ce cap est véritablement franchi lorsque vos clients vous invitent à prendre un repas à la maison. La famille est sacrée, et les hommes d'affaires arabes n'en parlent qu'avec une grande pudeur. Jamais vous ne verrez de photos de l'épouse et des enfants sur le bureau.

«Ne négligez pas l'importance de ce rendez-vous, vous subissez un examen de passage, prévient Lison Benarroch. Vous avez l'impression que la femme est dans le placard à élever les enfants. C'est une erreur. Même quand vous traitez avec le plus grand des machos, celui-ci ne prendra aucune décision sans l'avis de sa femme, puisque ce sont des matriarcats.»

Diana Smallridge se souvient d'avoir été épatée par une épouse qui détient un doctorat en finance de George Washington University. Celle-ci est en train d'établir une université en Arabie Saoudite pour que les princesses n'aient plus à étudier aux États-Unis.

Ce n'est pas une raison de se lancer dans une grande discussion sur les droits des femmes en Arabie ou sur les ratés de la monarchie, ce qui reviendrait à un suicide professionnel.

«Ne rentrez jamais dans des discussions politiques, dit Lison Benarroch. Montrez-vous intéressés par la découverte de l'autre. Faites du small talk. Écoutez-les. Pour eux, la satisfaction d'une rencontre est proportionnelle à leur temps de parole.»

De son côté, Diana Smallridge, une grande femme rigolote, privilégie l'humour. «Pas de l'humour gras et des tapes dans le dos, juste une certaine légèreté», dit-elle.

Un sourire n'a jamais besoin de traduction.