Après avoir franchi de dure lutte la plupart des obstacles réglementaires, les deux projets de port méthanier du Québec sont maintenant en suspens.

Après avoir franchi de dure lutte la plupart des obstacles réglementaires, les deux projets de port méthanier du Québec sont maintenant en suspens.

Les difficultés d'approvisionnement sont telles que la construction même de ces ouvrages est remise en question. C'est à se demander si les promoteurs n'ont pas mis la charrue devant les boeufs.

Pourquoi les régions de Québec et du Bas-du-Fleuve se sont-elles entredéchirées pendant cinq ans si personne ne trouve de gaz naturel liquéfié à acheter?

Il y a une semaine, Petro-Canada a mis en veilleuse pour une durée indéterminée le projet Énergie Cacouna qu'elle pilote avec la société TransCanada.

Son président, Ron Brenneman, a pris cette décision dès qu'il a su que le producteur russe Gazprom abandonnait son plan de construire une usine de liquéfaction du gaz au nord de Saint-Pétersbourg et un terminal d'expédition sur la mer Baltique.

Appelé Rabaska, le projet de port méthanier à Lévis, mené par Gaz Métro, Enbridge et Gaz de France, bat lui aussi de l'aile. La présidente de Gaz Métro, Sophie Brochu, a admis lors de l'assemblée annuelle du distributeur qu'ils auront bien du mal à respecter l'échéancier, faute d'avoir trouvé un fournisseur.

Ainsi donc, pendant que le Québec auscultait les projets par référendums, examens et audiences publiques, il a perdu de vue l'essentiel. Sans approvisionnement à long terme, personne n'investira 1 milliard de dollars pour construire un port méthanier.

Une question toute bête s'impose: pourquoi est-ce si difficile d'acheter du gaz naturel liquide? La réponse est aussi simple: trop de demande, pas assez d'offre.

«Pour chaque (tranche de) six projets de gazéification, on ne trouve qu'un seul projet de liquéfaction dans le bassin Atlantique», dit Martin Imbleau, vice-président exploitation et projets majeurs de Gaz Métro. Avant d'investir et de s'engager pour longtemps, les producteurs prennent donc leur temps!

Pour être transporté par bateau, le gaz naturel est refroidi à -160 ºC jusqu'à ce qu'il devienne liquide. Il n'occupe plus alors que 1/600e de son volume d'origine. À destination, le gaz naturel liquide est réchauffé et retrouve son état gazeux.

Il existerait entre 50 et 60 projets de port méthanier en Amérique du Nord. La liste des pays qui peuvent leur fournir du gaz naturel liquide est courte. La Russie, l'Algérie, le Qatar, le Nigeria, la Norvège, Trinité-et-Tobago, etc.

L'Indonésie et l'Australie sont aussi de grands producteurs, mais il coûte trop cher pour expédier leur gaz jusqu'au fleuve Saint-Laurent.

Rabaska et Énergie Cacouna ont poursuivi deux stratégies différentes. Alors que Rabaska discute en parallèle avec plusieurs producteurs, Énergie Cacouna a fixé son choix sur Gazprom il y a cinq ans, explique Andrew Pelletier, porte-parole d'Énergie Cacouna.

Ainsi, Petro-Canada comptait investir 1 milliard de dollars dans l'usine de liquéfaction en Russie, construite à un coût oscillant entre 4 et 5 milliards, ce qui lui aurait assuré une participation de près de 25% dans cette usine de Gazprom.

Les promoteurs d'Énergie Cacouna songeaient aussi à offrir à Gazprom une participation dans le futur port du Bas-du-Fleuve en échange d'un contrat d'approvisionnement de près de 40 ans.

Bref, Énergie Cacouna se liait étroitement à Gazprom, d'où l'importance de ce revers. «Il faut revenir en arrière», se désole Andrew Pelletier.

Du côté de Rabaska, il n'est pas question d'investir dans une usine de liquéfaction en Russie ou ailleurs. En fait, Rabaska ne veut même pas acheter le gaz et assumer le risque lié à sa vente, précise Martin Imbleau.

Le consortium compte seulement vendre son service de gazéification à un producteur à qui il serait lié par un contrat de 15 à 20 ans.

Cela dit, Rabaska et Énergie Cacouna sont dans le même bateau. Ils sont situés en Amérique du Nord, où les prix du gaz naturel sont peu élevés comparativement à l'Europe et surtout au Japon.

Le gaz naturel liquéfié n'a pas encore réussi à aplanir les différences de prix pour ce produit qui se transporte surtout par pipeline.

En Amérique du Nord, le prix du gaz naturel se situe entre 7$ et 8$ pour mille pieds cubes, moitié moins que le sommet de 2005.

«Pourquoi investir pour exporter en Amérique du Nord, dit Andrew Pelletier, quand tu peux vendre plus facilement en Allemagne au double du prix et au Japon au triple du prix?»

La situation pourrait changer d'ici cinq à sept ans, puisque l'Amérique du Nord, qui produit tout juste assez de gaz pour suffire à sa demande, fera face à une pénurie, croit Andrew Pelletier. Mais la concurrence restera vive entre les nombreux projets de port méthanier.

Pour se démarquer, Rabaska serait lui aussi prêt à céder une participation dans son projet de Lévis à Gazprom si cela pouvait l'aider à décrocher un contrat d'approvisionnement.

Les promoteurs canadiens ne se méfient-ils pas de Gazprom? Premier producteur mondial, Gazprom a mauvaise presse depuis qu'il a fermé le robinet du gaz à l'Ukraine, en 2005 et en 2006.

Il s'agissait d'une décision politique pour cette entreprise étroitement contrôlée par le Kremlin; dans un mois, le premier ministre, Viktor Zoubkov, remplacera Dmitri Medvedev à la présidence du conseil de Gazprom, qui remplacera lui Vladimir Poutine!

En représailles contre la Révolution orange, qui a tiré l'Ukraine à l'Ouest, la Russie a décidé de ne plus vendre son gaz à un prix subventionné. Les Ukrainiens ont rechigné à payer la facture, d'où le bras de fer entre voisins.

Ces épisodes ont semé l'inquiétude en Europe, qui achète près de 30% de son gaz de Russie, par des gazoducs qui traversent l'Ukraine.

L'Europe se préoccupe aussi des investissements modestes consentis par Gazprom, raconte un documentaire français récemment diffusé aux Grands reportages à RDI.

Si les gisements actuels s'épuisent avant que les nouveaux ne soient mis en service, le prix du gaz naturel s'enflammera.

C'est sans parler des rumeurs d'une OPEP du gaz naturel qui refont épisodiquement surface, même si la Russie et les membres du Forum international des pays exportateurs de gaz démentent vouloir créer un tel cartel.

Néanmoins, ces pays admettent qu'ils essaient de coordonner leurs actions sur les marchés. Or, la Russie, l'Iran et le Qatar contrôlent plus de la moitié des réserves (56%) et le quart (27%) de la production de la planète.

«Quel que soit le pays, Algérie, Angola ou Qatar, nous faisons toujours affaires avec des sociétés d'État. Cela ne m'insécurise pas du tout de faire affaire avec Gazprom», dit Martin Imbleau, en évoquant la fiabilité historique du géant russe.

De toute façon - et c'est bien l'ennui -, cela reste encore une question hypothétique.