On a sorti toutes sortes de raisons pour expliquer la crise alimentaire qui secoue le monde, et plus particulièrement les pays pauvres.

On a sorti toutes sortes de raisons pour expliquer la crise alimentaire qui secoue le monde, et plus particulièrement les pays pauvres.

On a dit que c'était l'explosion de la demande. On a ajouté que c'était l'augmentation de la production d'éthanol au détriment des denrées alimentaires.

On a même trouvé le moyen de blâmer la Banque mondiale et le FMI, éternels boucs émissaires de tout ce qui va mal sur la planète.

En réalité, la grande coupable, c'est la politique égoïste et irresponsable des pays riches, qui subventionnent outrageusement leurs producteurs agricoles depuis 40 ans. Un jour ou l'autre, cela devait inévitablement déboucher sur une crise majeure. Nous y sommes.

Dans les pays de l'OCDE, l'ensemble des subventions agricoles se situe à 29 % de la valeur de la production. Autrement dit, chaque fois qu'il produit des denrées d'une valeur de un dollar, l'agriculteur reçoit 29 cents de subvention.

Ces cadeaux représentent 300 milliards de dollars par année, montant qui comprend à la fois les subventions des administrations publiques (financées par les contribuables) et les mesures de soutien des prix au moyen de quotas (financées par les consommateurs).

Les pays pauvres n'ont pas les moyens de subventionner leurs producteurs agricoles, surtout quand on considère les sommes en cause. Trois cents milliards, c'est beaucoup d'argent.

Prenez un groupe de pays africains représentatif: Burkina Faso, Cameroun, les deux Congos, Côte-d'Ivoire, Ghana, Mali, Niger, Tanzanie.

Pour obtenir 300 milliards, additionnez le produit intérieur brut (PIB) de tous ces pays, calculé au taux de change courant, et multipliez le résultat par trois!

Privé de subventions, le producteur du tiers-monde est prisonnier de méthodes d'un autre âge, alors que son concurrent riche, largement subventionné, possède les technologies les plus performantes. C'est un cas flagrant de concurrence déloyale.

Dans ces conditions, le producteur du tiers-monde n'a aucune chance. Je me souviens, lors d'un voyage au Cameroun il y a quelques années, avoir été frappé par l'absence presque totale de produits locaux dans les marchés d'alimentation.

Tout, jusqu'aux haricots et aux échalottes, était importé de France. Or, le Cameroun est parfaitement capable de produire des haricots et des échalottes. Le problème, c'est qu'il en coûte moins cher de faire venir tout cela d'Europe.

Inévitablement, il arriva ce qui devait arriver. Le tiers-monde est devenu de plus en plus dépendant des pays riches, et est donc devenu chroniquement incapable de développer son propre secteur agro-alimentaire.

Sans les subventions aux producteurs des pays riches, on peut penser qu'une bonne cinquantaine de pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie auraient pu devenir d'importants producteurs agricoles, ailleurs que dans les secteurs hautement spécialisés (arachides, café, canne à sucre, bananes et autres denrées que les pays riches sont incapables de produire eux-mêmes).

Ils en auraient eu la chance, en tout cas, et si cela s'était produit, on ne parlerait pas de crise aujourd'hui.

Il est de bon ton, par les temps qui courent, de casser du sucre sur le dos des Américains. Il y a quelques jours, à la radio, j'ai entendu un commentateur affirmer que ce sont les subventions agricoles américaines qui ont provoqué la crise. Pour ce qui est des subventions, d'accord; pour ce qui est des États-Unis, pas si vite.

Nous avons vu que les subventions agricoles des pays riches représentent 29% de la valeur de la production. Bien entendu, ce chiffre est une moyenne. L'importance des subventions varie considérablement d'un endroit à l'autre.

Il y a quelques grands coupables, qui protègent leurs producteurs à des niveaux qui frisent le scandale: au Japon, c'est 56% de la production qui est subventionnée; en Corée du Sud, 62%; en Suisse, 65%; en Norvège, 68%.

Dans les 25 pays de l'Europe communautaire, les subventions agricoles atteignent en moyenne 32% de la production; la feuille de route des Européens est donc sensiblement pire que la moyenne de l'OCDE.

Au Canada, cette proportion est de 20%; c'est bien mieux que les autres pays riches, et c'est surtout une amélioration sensible depuis une vingtaine d'années.

En 1986, les subventions agricoles canadiennes s'élevaient en moyenne à 39% de la production (contre une moyenne de 43% pour l'OCDE). Le Canada, en sabrant ses subventions de moitié, s'est donc imposé un effort réel et louable pour faire sa part.

Enfin, les États-Unis, qu'on accuse si souvent à tort, ne subventionnent que 17% de leur production. Les Européens sont donc particulièrement mal placés pour faire la leçon aux Américains dans ce dossier.

Seulement deux pays riches ont pratiquement éliminé leurs subventions agricoles: l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Terminons avec une bonne et une mauvaise nouvelle.

La bonne: depuis 20 ans, les pays riches ont reconnu qu'il y avait là un problème, et la plupart, dans les années 90, ont réduit leurs subventions (cela explique pourquoi la moyenne de l'OCDE est passée de 43 à 29%, comme on vient de le voir).

La mauvaise: en 2001, les subventions ont atteint 31% de la production, leur plus bas niveau depuis longtemps; sous la pression des puissants lobbies agricoles, on a cessé de réduire les subventions qui, depuis ce temps, oscillent entre 29 et 32%. C'est donc dire que, pratiquement, le problème demeure entier.