C'est le coup le plus dur jamais encaissé par la Banque Nationale du Canada. Ni les déboires de Cognicase, ni la chute de Téléglobe, ni même la faillite de l'empire immobilier Olympia & York, qui a entraîné une perte sur prêt de 350 M$ en 1992 -466 M$ d'aujourd'hui- aura coûté plus cher.

C'est le coup le plus dur jamais encaissé par la Banque Nationale du Canada. Ni les déboires de Cognicase, ni la chute de Téléglobe, ni même la faillite de l'empire immobilier Olympia & York, qui a entraîné une perte sur prêt de 350 M$ en 1992 -466 M$ d'aujourd'hui- aura coûté plus cher.

Cette charge vraiment extraordinaire surpasse de loin les prévisions des analystes financiers, qui tablaient plutôt sur une radiation de l'ordre de 350 M$.

Le papier commercial adossé à des actifs coûtera 575 millions avant impôt à la Nationale. Et l'institution financière n'a peut-être pas fini de réparer les pots cassés.

En fait, tout dépend du succès de la restructuration de ce marché de 34 milliards que négocie de peine et de misère le comité piloté par l'avocat Purdy Crawford. Si les détenteurs de papier n'approuvent pas les termes de la restructuration et forcent la liquidation des fiducies qui l'ont émis, qui sait ce que cela vaudra?

La Nationale était l'une des dernières à passer au confessionnal, et c'est apparemment l'institution financière qui a le plus de choses à se reprocher.

En effet, la banque fait une croix sur le quart des 2,25 milliards de dollars de papier commercial qu'elle détient -25,6%, pour être précise. Aucune autre institution financière n'en a radié autant.

L'Industrielle Alliance a dévalué la valeur de ses investissements dans ces instruments financiers sophistiqués de 15%. Le Mouvement Desjardins, lui, a effacé 8,3% de ses investissements en papier commercial.

De deux choses l'une. Ou bien la Nationale est prudente et préfère cracher un gros morceau plutôt que d'avoir à se repentir de nouveau. Ou bien elle a acheté beaucoup de schnout comme le Apsley Trust, le plus lourdement investi au Canada dans les hypothèques américaines à haut risque.

Que détient la Nationale exactement? Son porte-parole, Denis Dubé, a refusé hier de mettre un peu de chair autour de l'os du communiqué de presse. Il faudra attendre la diffusion des résultats du quatrième trimestre, dans une semaine, pour en avoir le coeur net.

Chose certaine, il n'y a aucune raison de penser que le papier commercial que les entreprises ont acheté sur les recommandations de la Nationale diffère sensiblement, dans sa composition, de celui détenu en propre par la banque.

Ce qui est une fort mauvaise nouvelle pour les Transat A.T., Groupe Jean Coutu et autres entreprises du Québec inc. qui en ont acheté.

Déjà que Jean Coutu est sorti de ses gonds devant la perspective que la chaîne de pharmacies perde un sou dans cette aventure. Je ne voudrais pas être celle qui lui annoncerait qu'il devra faire son deuil de 9 millions des 35,7 millions que le détaillant a investis en papier commercial...

Et c'est peut-être là le plus grand problème de la Banque Nationale. Comme le note l'analyste Michael Goldberg, de Valeurs Mobilières Desjardins, la Nationale n'aura besoin que de deux ou de trois trimestres pour se remettre financièrement de cette charge extraordinaire.

Mais la Nationale pourrait mettre beaucoup plus de temps avant de rétablir le lien de confiance qui l'unissait au Québec inc.

Rappelons que si la Banque Nationale a pris la décision (fort juste) de dédommager les petits investisseurs qui risquaient d'être touchés par la crise du papier commercial par l'entremise de leurs fonds communs du marché monétaire, elle a laissé ses grands clients d'affaires sur le carreau.

Aucune de ces entreprises moyennes et grandes qui croyaient avoir placé leurs liquidités dans un refuge sécuritaire à court terme n'est assurée de récupérer la totalité de sa mise.

Combien d'entreprises sont touchées? Et pour quelles sommes? Encore ici, la Nationale est avare de détails. Et pourtant, c'est assez pertinent ou «matériel» comme information compte tenu des poursuites qui pendent au bout du nez de la banque.

Des recours ont-ils déjà été intentés? «Pas de commentaire», a réitéré Denis Dubé.

La Nationale fait valoir en substance que ces grandes entreprises sont majeures et vaccinées. Elles devaient connaître les risques auxquelles elles s'exposaient en investissant dans du papier commercial.

Mais pourquoi une entreprise comme Transat, spécialiste de l'industrie du voyage, devait-elle se méfier du papier commercial recommandé par son banquier de toujours comme un placement sécuritaire?

À posteriori, donc, la Nationale demande à des sociétés opérantes de jouer les agents de crédit et d'évaluer des produits complexes et obscurs qui n'étaient à peu près pas réglementés.

Alors que même les experts retenus par le comité Crawford peinent à démêler cet enchevêtrement de produits financiers sophistiqués!

Pour se protéger à court terme, donc, la Nationale a pris une décision qui pourrait bien hypothéquer son avenir.

En effet, l'institution de la rue de la Gauchetière a toujours été intimement liée au Québec inc. À preuve son ancien grand patron André Bérard qui siège encore aux conseils de BCE, de Bombardier, de Saputo et de Tembec, entre autres.

Qui voudra inviter Louis Vachon à son conseil ou même à un cocktail de la chambre de commerce? Surtout que le grand patron de la Banque Nationale ne peut pas se défendre en affirmant que le mal a été fait avant qu'il ne soit de garde.

Avant d'accéder au fauteuil de président, c'était lui le crack de la gestion du risque et des produits dérivés.

Avec la crise du papier commercial, Louis Vachon hypothèque la Nationale.