Nos voisins américains n'ont pas ménagé leurs efforts, cette semaine, pour commémorer la mort de Martin Luther King, survenue il y a 40 ans dans les circonstances tragiques que l'on sait.

Nos voisins américains n'ont pas ménagé leurs efforts, cette semaine, pour commémorer la mort de Martin Luther King, survenue il y a 40 ans dans les circonstances tragiques que l'on sait.

Il y a de quoi: sa contribution à l'avancement des droits humains demeure un des faits marquants de l'histoire des États-Unis au XXe siècle.

L'occasion est bien choisie pour mesurer le chemin parcouru par les Noirs américains depuis 40 ans dans les secteurs économique et financier.

La lutte pour les droits humains, c'est bien beau, mais comment cela s'est-il traduit, concrètement, sur le niveau de vie des Noirs?

C'est en 1967 que le bureau américain du recensement (US Census Bureau) a commencé à colliger des statistiques sur le revenu médian des ménages et sur le taux de pauvreté, selon l'âge, le sexe, le lieu de résidence, la race, le statut matrimonial, etc. Les chiffres les plus récents datent de 2006. Nous pouvons donc voir de façon précise comment les choses ont évolué depuis ce temps.

Deux choses sautent aux yeux:

> Il y a émergence d'une authentique classe moyenne noire aux États-Unis, chose impensable il y a 40 ans;

> Même si la situation financière des Noirs s'est nettement améliorée, il leur reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour rejoindre les revenus des Blancs.

En 2006, le revenu médian des ménages blancs, aux États-Unis, était de 50 700$, contre 32 000$ pour les ménages noirs. Le niveau de revenu des Noirs atteignait donc 63% de celui des Blancs.

En 1967, par contre, les chiffres correspondants étaient de 36 800$ pour les Blancs et 20 000$ pour les Noirs. Autrement dit, le revenu des ménages noirs n'atteignait que 54% du revenu des ménages blancs.

Ces montants sont exprimés en dollars constants, c'est-à-dire qu'ils ont été indexés pour tenir compte de l'inflation. En termes réels, sur cette période de 40 ans, les Blancs américains ont donc augmenté leur pouvoir d'achat de 38%, contre 60% pour les Noirs.

Le rattrapage est donc bien réel, mais lent. À ce rythme, les Noirs n'atteindront la parité qu'au tournant du prochain siècle!

Autre donnée intéressante: en divisant la population américaine en cinq parties égales, selon les tranches de revenus, on obtient cinq quintiles. Le premier comprend les 20% les plus pauvres, les trois quintiles du milieu représentent la classe moyenne, et le quintile supérieur, les 20% d'Américains les plus riches. Les chiffres les plus récents montrent qu'il y a 13,8 millions de ménages noirs aux États-Unis; de ce nombre, 4,5 millions font partie du premier quintile, 8 millions forment la classe moyenne, et on en trouve même 1,3 million dans le quintile supérieur. Il existe maintenant une solide classe moyenne chez les Noirs américains, et on perçoit même l'émergence d'une bourgeoisie noire d'une certaine importance.

Le taux de pauvreté est un autre instrument de mesure révélateur. Ici aussi, les résultats concordent: contrairement à un préjugé assez largement véhiculé, il y a de moins en moins de pauvreté chez les Noirs américains. Toujours selon le US Census Bureau, le taux de pauvreté chez les Noirs se situait à 33,9% en 1967, l'année précédant l'assassinant de Martin Luther King. En 2006, ce taux n'était plus que de 21,6%. L'amélioration est manifeste.

Il existe cependant une ombre au tableau.

Si, dans l'ensemble, les Noirs américains ont certainement réussi à améliorer leur situation financière, ils demeurent encore largement absents du monde des affaires.

Certes, des Noirs siègent maintenant aux conseils d'administration de presque toutes les grandes entreprises américaines. Sur les plus grandes entreprises, celles qui figurent au palmarès de Fortune 500, on compte pas moins de 450 administrateurs noirs. Sur près de 8000 administrateurs, ce n'est pas encore assez; mais encore là, une telle chose aurait été inconcevable au temps de Martin Luther King. D'autant plus que même les gigantesques entreprises des États-Unis ont emboîté le pas: Wal-Mart, Exxon Mobil, General Motors, Chevron, ConocoPhillips, General Electric, Ford Motors, Citigroup, Bank of America, pour ne nommer que celles-là, ont tous appelé des Noirs comme administrateurs.

Mais au-delà de ces postes de prestige, on trouve peu d'entrepreneurs noirs. Ce n'est pas que les Noirs n'ont pas le goût des affaires. Une étude réalisée en 2002 par le Babson College (une institution de la région de Boston) montre même que les Noirs, toutes proportions gardées, démarrent plus d'entreprises que les Blancs.

Mais il s'agit dans l'immense majorité des cas de micro-entreprises dont beaucoup ne survivront pas longtemps. Les gens d'affaires noirs ne contrôlent que 3% des entreprises américaines, et le chiffre d'affaires combiné de ces entreprises ne représente que 1% des ventes sur le marché américain.

En revanche, ces dernières années, on a vu naître une profusion d'associations de gens d'affaires noirs. Des contacts se nouent, des expertises se partagent, des réseaux se tissent.

Derrière cette évolution, je trouve, il y a plus de raisons d'être optimiste que pessimiste pour la suite des choses.