Des pneus Goodyear à l'imprimerie L'Éclaireur, des chantiers maritimes Verreault aux restructurations administratives chez Loblaw, les tuiles ne cessent de s'abattre sur le marché québécois de l'emploi, la dernière tragédie étant le naufrage imminent de l'abattoir Olymel en Beauce.

Des pneus Goodyear à l'imprimerie L'Éclaireur, des chantiers maritimes Verreault aux restructurations administratives chez Loblaw, les tuiles ne cessent de s'abattre sur le marché québécois de l'emploi, la dernière tragédie étant le naufrage imminent de l'abattoir Olymel en Beauce.

Les médias parlent déjà d'une crise du porc; après la crise de la forêt, la crise du secteur manufacturier, la crise du textile, c'est bien la dernière chose dont on avait besoin.

Que se passe-t-il donc? Cette avalanche de mauvaises nouvelles finira-t-elle un jour?

Spontanément, on peut être porté à rejeter le blâme sur la force du dollar canadien. À son plus faible, en 2002, le huard valait moins de 62 cents américains. En mai 2006, il frisait les 89 cents US.

Il perdu quelques cents depuis, mais n'empêche : une appréciation aussi rapide en une aussi courte période constitue un record.

En clair, cela signifie que le prix des exportations canadiennes aux États-Unis a augmenté de 44 % en quatre ans. Pour le Québec, qui exporte le tiers de sa production aux États-Unis, le choc peut effectivement paraître terrible.

Pourtant, il est beaucoup trop simplet d'attribuer les misères de l'économie québécoise à la force du dollar.

Au contraire : c'est précisément la faiblesse du huard, entre 1997 et 2004, qui est la grande coupable.

Pendant sept ans, les exportateurs canadiens ont littéralement surfé sur cette faiblesse pour voir monter leurs ventes (et leurs profits) au sud de la frontière. Ils n'ont pas vu venir la fin de l'accord multi-fibres. Ils ont largement sous-estimé la concurrence internationale, en particulier celle de la Chine, Surtout, la plupart d'entre eux, contents d'avoir un accès facile et illimité au marché le plus riche de la planète, ont négligé d'investir dans l'équipement, la machinerie et l'outillage, compromettant d'autant leur productivité. C'était d'ailleurs beaucoup leur demander. Le Canada ne produit pas beaucoup d'équipements spécialisés. Il faut donc l'importer, surtout des États-Unis. Or, justement, avec une monnaie faible, le coût des importations devient prohibitif. Tout cela montre, on ne le répétera jamais assez, qu'on ne construit pas une économie solide sur une monnaie fragile.

D'autre part, la remontée du dollar canadien a pu heurter certains exportateurs, mais il est hautement imprudent d'en conclure que c'est toute l'économie qui pâtit. En dépit des variations des taux de change, le commerce entre le Canada et les États-Unis se poursuit dans toute son ampleur. Entre 2002 et 2005 (les chiffres de 2006 ne sont pas encore connus), les exportations canadiennes aux États-Unis sont passées de 347 à 369 milliards, malgré la forte appréciation du huard, qui a décidément le dos bien large...

Il est également de bon ton, en certains milieux, d'accuser la mondialisation pour les pertes d'emplois survenues au Québec.

Ce raisonnement ne tient pas la route.

Oui, la Chine fait mal, mais c'est parce qu'elle peut offrir des produits à bien meilleur marché. Alors, qu'est-ce qu'on fait ? On ferme nos portes aux produits chinois et on protège nos entreprises qui sont moins compétitives ? De un, les premières victimes seront les consommateurs canadiens. De deux, une économie aussi massivement axée sur l'exportation que celle du Québec (la même remarque vaut pour l'ensemble du Canada) ne peut pas fermer ses frontières sans s'exposer à des représailles. Dans tous les cas, on se dirige vers de joyeux problèmes.

Il serait peut-être utile de rappeler que le Canada a largement profité de la libéralisation des échanges. En 1988, année précédant l'entrée en vigueur du traité de libre-échange, les exportations canadiennes aux États-Unis atteignaient 105 milliards. Comme on vient de le voir, ce chiffre a atteint 369 milliards en 2005. Même en tenant compte de l'inflation, la progression est prodigieuse, et cela s'est traduit par le maintien ou la création de centaines de milliers d'emplois. Le Québec a largement profité de la manne.

Parlons-en, justement, de l'emploi. À en croire certains commentaires, l'économie du Québec commence et finit à Vallée-Jonction! À force de compter les emplois perdus chez Olymel, ou dans le textile, la forêt, le secteur manufacturier, on en vient à penser que le Québec n'est plus qu'un vaste cimetière d'emplois.

C'est oublier une chose importante. Oui, il se perd des emplois, mais il s'en crée ailleurs. L'économie continue de rouler. Les entreprises qui ne s'adaptent pas aux changements ferment leurs portes. D'autres, mieux équipées pour répondre aux besoins des clients et du marché, prennent la relève. Des emplois perdus dans le porc ou le textile sont remplacés par d'autres dans les services de santé ou les nouvelles technologies. Il en a toujours été ainsi depuis que le monde est monde.

Ce qu'il est important de regarder, c'est la création nette d'emplois. La grande question est de savoir si l'économie canadienne, dans un environnement libre-échangiste, est capable de créer assez d'emplois pour tous les nouveaux arrivants sur le marché du travail. La réponse est oui. Depuis 1988, l'économie canadienne a créé 3,8 millions d'emplois, dont 3,1 millions à temps plein. Le taux de chômage se situe actuellement à 6,1 %, son plus bas niveau en 30 ans. Pendant la même période, l'économie québécoise a créé 674000 emplois, et son taux de chômage, à 8 %, frôle un plancher historique.

Certes, ces chiffres, extraits de l'enquête sur la population active de Statistique Canada, sont moins spectaculaires que les fermetures d'usine ou les déclarations dramatiques. Mais ils reflètent la réalité toute crue et toute simple: on aura beau pester tant qu'on voudra contre la hausse du dollar ou la mondialisation, mais dans la vraie vie, au total, il continue de se créer des milliers d'emplois.