Les spectateurs, médusés, n'en croyaient pas leurs oreilles. Après 45 journées d'audience, c'était au tour de Vincent Lacroix de se défendre, lundi, au palais de justice de Montréal.

Les spectateurs, médusés, n'en croyaient pas leurs oreilles. Après 45 journées d'audience, c'était au tour de Vincent Lacroix de se défendre, lundi, au palais de justice de Montréal.

Or, après seulement quelques heures, les explications échafaudées par le fondateur de Norbourg se sont écroulées comme un château de cartes.

Un badaud qui serait entré dans la salle d'audience 5.12 n'aurait pas saisi tout de suite l'ampleur de la déroute. Rien ne trahissait l'état d'esprit de Vincent Lacroix, si ce ne sont ses joues, qui se sont colorées de rose à mesure que la pression montait.

Jamais il n'a perdu les pédales. Jamais il n'a haussé le ton de sa voix, posée comme à l'accoutumée.

Vincent Lacroix venait pourtant de dévoiler au grand jour à quel point sa défense est vasouilleuse. Il n'y avait rien lundi pour semer un doute dans l'esprit de ceux qui pensent que ce gestionnaire de fonds a dérobé 130 M$ à quelque 9200 investisseurs. Rien.

Durant ce procès, le juge Claude Leblond a fait montre d'une grande patience et d'une grande indulgence envers Vincent Lacroix, qui se défend seul.

Mais malgré toute sa bonne volonté, il n'arrivait pas à décoder lundi la stratégie de l'homme d'affaires accusé d'avoir enfreint à 51 reprises la Loi sur les valeurs mobilières du Québec.

C'est quoi votre hypothèse de travail? C'est quoi votre thèse? C'est quoi la pertinence de ce témoignage? C'est quoi le lien avec les chefs d'accusation? a demandé, encore et encore, ce juge de la Cour du Québec.

«C'est simple», a commencé Vincent Lacroix.

«C'est peut-être simple, mais vous ne l'expliquez pas simplement», a rétorqué le juge Leblond.

C'est ainsi que le juge a dispensé un par un la trentaine de témoins que Vincent Lacroix avait sommés de venir témoigner. Tous sauf un, Éric Asselin, son ancien bras droit qui l'a balancé aux autorités, alias le traître.

De cet exercice ne sont ressorties que trois esquisses de défense mal appuyées. De un, ce n'est pas ma faute, c'est celle d'Éric Asselin, qui aurait tout ourdi.

De deux, l'Autorité des marchés financiers (AMF) se trouve en conflit d'intérêts, ayant sorti l'artillerie lourde pour couvrir son travail de surveillance négligent.

De trois, le tripotage des comptes aurait suivi l'achat par Norbourg des Fonds Evolution, desquels 20 millions étaient mystérieusement disparus.

«Ce n'est pas une défense de dire: je me suis fait voler, donc je vais voler mon voisin», a tranché le juge Claude Leblond.

Les journalistes ont eu du mal à réprimer un sourire. Mais en même temps, il y avait un certain malaise dans la salle -qu'il ne faudrait pas assimiler à de la pitié.

Au procès de Vincent Lacroix, les spectateurs ont l'impression d'assister à un suicide en direct. Pas un gars qui se jette du haut d'un 31e étage. Mais un gars qui, lentement mais sûrement, tresse la corde avec laquelle il finira par se pendre.

Pourquoi un tel déni devant cette preuve accablante? Pourquoi ne pas plaider coupable pour mettre un terme à ce cirque qui frise l'insupportable, comme lui auraient suggéré certains avocats? C'est cette résistance de Vincent Lacroix qui exerce une fascination macabre.

En même temps, les journalistes qui assistent au procès auraient tellement aimé que Vincent Lacroix puisse interroger les experts de l'AMF. L'ancien grand patron de Norbourg en avait convoqué 14.

Le juge Leblond a raison de dire que le travail de l'Autorité est sans lien avec les accusations pénales de malversations qui ont été portées contre Vincent Lacroix.

«Il ne faut pas faire bifurquer ce procès sur d'autres enjeux», a fait valoir Eric Downs, procureur de l'AMF.

En même temps, cela fait des années que les observateurs se posent des questions sur le travail de surveillance et d'encadrement de l'Autorité. Et qu'ils espèrent des réponses...

Norbourg, une jeune boîte, disposait de moyens en apparence illimités pour acquérir des firmes rivales. Le «mystère Norbourg», comme il était appelé, avait d'ailleurs fait l'objet de plusieurs articles dans la presse spécialisée dès 2004.

Le Centre d'analyse des opérations et des déclarations financières du Canada, une petite agence fédérale qui surveille les transactions financières pour contrer le blanchiment d'argent, avait aussi alerté l'AMF au sujet de transactions suspectes quatre longs mois avant que celle-ci ne se décide d'intervenir, en août 2005.

Combien de petits investisseurs ont confié leurs sous à Norbourg dans l'intervalle?

Bref, des informations louches, il y en avait un peu partout. L'Autorité avait aussi ses doutes mais a mis beaucoup de temps avant d'intervenir. Pourquoi?

Autant de questions qui attendent une réponse. Le gouvernement de Jean Charest a repoussé les demandes d'une commission d'enquête formulées par les victimes de Norbourg.

Ne reste plus donc que le recours collectif intenté par les petits investisseurs floués, dans lequel l'AMF est l'une des parties visées.

Ce recours devait être entendu l'an prochain, mais devant la complexité du dossier et du nombre de parties en cause, l'audition pourrait être repoussée en 2009.

Bref, on n'élucidera pas de sitôt le mystère Norbourg.