Pendant que les automobilistes québécois pestent contre les prix à la pompe, la hausse des prix pétroliers fait des heureux ailleurs au pays, et c'est particulièrement vrai pour les Terre-Neuviens.

Pendant que les automobilistes québécois pestent contre les prix à la pompe, la hausse des prix pétroliers fait des heureux ailleurs au pays, et c'est particulièrement vrai pour les Terre-Neuviens.

Une étude publiée cette semaine par l'économiste Diana Wyman dans L'Observateur économique canadien, une revue spécialisée de Statistique Canada, montre en effet qu'à cause du pétrole, l'économie de Terre-Neuve, traditionnellement la province la plus pauvre au pays, est en train de se transformer radicalement.

Le titre du document, De dernier à premier, est en lui-même assez explicite.

C'est en 1997 que le grand projet pétrolier offshore Hibernia a été lancé, en même temps que deux projets moins connus (Terra Nova et White Rose). Un quatrième projet, Hebron, devrait entrer en production d'ici quelques années.

Tant que les prix pétroliers sont demeurés à des niveaux relativement bas, les Terre-Neuviens n'en ont pas vraiment profité. Mais les choses changent rapidement. Voyons ce que constate Statistique Canada.

En 2007, la croissance économique terre-neuvienne affiche un robuste gain de 9,1%, trois fois plus que la moyenne canadienne. Ce chiffre est exprimé en termes réels, c'est-à-dire qu'il tient compte de l'inflation. C'est une progression énorme.

Mais il est toujours hasardeux de tirer des conclusions à partir des résultats d'une seule année.

On aura une meilleure idée de la poussée terre-neuvienne en l'étudiant sur une plus longue période, soit entre 2002 et 2007. Pendant ces cinq années, comme on s'en doute, c'est l'Alberta qui affiche la plus forte croissance au Canada.

Sauf qu'en 2007, pour la première fois, même la prospère Alberta s'est fait détrôner par Terre-Neuve. Le produit intérieur brut (PIB) nominal (avant indexation) a grimpé de 73% en Alberta pendant cette période, contre 76% à Terre-Neuve.

Et ces chiffres ne tiennent pas compte de la forte hausse des prix pétroliers que nous connaissons depuis le début de 2008.

Certes, les Terre-Neuviens partaient de beaucoup plus loin que les Albertains, et il sont encore loin d'avoir complété le rattrapage. En 2007, le PIB par habitant se situait à 57 000$ à Terre-Neuve, contre 75 000$ en Alberta.

N'empêche: il n'y a même pas 10 ans, Terre-Neuve tirait nettement de l'arrière par rapport au reste du Canada, avec un PIB par habitant de 10 000$ inférieur à la moyenne.

Aujourd'hui, il est de 10 000$ supérieur. Autrement dit, Terre-Neuve est passée, en un temps relativement court, du statut de province pauvre à celui de province riche. Pour Mme Wyman, il s'agit de rien de moins que du «plus important revirement en 10 ans de l'histoire canadienne». En effet!

Le pétrole terre-neuvien est massivement exporté vers les États-Unis et les autres provinces.

En 1995, avant Hibernia, les exportations de Terre-Neuve n'atteignaient qu'un maigre deux milliards; l'an dernier, elles se situaient à 12 milliards, dont 8,5 milliards de pétrole (brut et raffiné); autrement dit, le pétrole a permis à l'ex-province pauvre de multiplier ses exportations par six en 12 ans. Même en tenant compte de l'inflation, la poussée est phénoménale.

La nouvelle prospérité terre-neuvienne a plusieurs conséquences. Évidemment, puisque les gens ont plus d'argent, ils dépensent davantage. Les ventes au détail explosent, particulièrement dans le secteur de l'automobile, où on observe une hausse considérable de 17% en 2007.

Mais probablement que la nouvelle la plus spectaculaire, certainement la plus encourageante en tout cas, se trouve dans les données démographiques.

Comme toutes les régions économiquement déprimées, Terre-Neuve a été victime d'une véritable saignée démographique. La population a atteint son maximum dans les années 10, avec 580 000 habitants.

Depuis ce temps, c'est par milliers que les Terre-Neuviens s'exilent ailleurs au Canada, principalement en Alberta, dans l'espoir d'y trouver un avenir plus prometteur.

L'exode a été particulièrement dévastateur dans les années qui ont suivi le moratoire sur la pêche à la morue, en 1992. La province attire peu d'immigrants, et le taux de fécondité y est un des plus bas au Canada: 1,3 enfant par femme en âge de procréer.

Dans ces conditions, il n'est pas surprenant de constater que Terre-Neuve, en 20 ans, a perdu près de 75 000 habitants. Un citoyen sur huit! C'est une catastrophe.

Or, le boom pétrolier, et les emplois qui viennent avec, ont mis fin à l'hémorragie.

Au cours des six derniers mois de 2007, le nombre de nouveaux arrivants était à son niveau le plus élevé en 30 ans; on a aussi observé un net ralentissement des sorties migratoires.

Résultat: pour la première fois depuis 1992, la population de la province augmente. D'un point de vue terre-neuvien, c'est sans doute la meilleure nouvelle dans les travaux de Mme Wyman.