Manon, femme au foyer, 57 ans, une onzième année comme bagage scolaire. Michel 60 ans, à la pré-retraite forcée depuis 2001, une neuvième année en poche.

Manon, femme au foyer, 57 ans, une onzième année comme bagage scolaire. Michel 60 ans, à la pré-retraite forcée depuis 2001, une neuvième année en poche.

En juin 2002, leur caisse populaire les invite à transférer leurs économies de quelque 585 000 $ pour les mettre entre les mains d'un courtier de Valeurs mobilières Desjardins (VMD). À ce moment-là, ils ne connaissent rien à la Bourse.

Trois ans et demi plus tard, le courtier a effectué dans les comptes de Manon et Michel pas moins de 199 transactions boursières. Valeurs mobilières Desjardins nous a confirmé que ces transactions lui avaient rapporté des commissions de 78 247 $, qu'elle a partagées avec son courtier. Pour faciliter la multiplication des transactions, des comptes sur marge (canadiens et américains) ont été ouverts, soit en mai 2003 pour Manon et en septembre 2003 pour Michel.

Après tant de transactions et de commissions, les portefeuilles de Manon et Michel ont bénéficié sur trois ans et demi d'une plus-value de 88 729 $, pour un rendement annuel moyen que VMD évalue à 5 %. Manon et Michel sont fort mécontents de ce rendement. Ils s'expliquent mal comment un courtier aussi hyperactif avec leurs comptes ait pu obtenir 5 % alors que pendant la même période (les années 2003 à 2005), la Bourse canadienne affichait un rendement annuel composé de quelque 21 %.

Ils sont d'autant plus déçus que la valeur de leurs portefeuilles, après avoir grimpé sensiblement jusqu'en février 2004, s'est malheureusement dépréciée de façon marquée par la suite. Manon et Michel ont essayé d'obtenir de la part de Valeurs mobilières Desjardins un dédommagement pour des pertes qu'ils ont évaluées à plus de 100 000 $.

Dans une lettre datée du 29 septembre dernier, Sylvain Perreault, premier vice-président Opérations et chef de la conformité de VMD, signifiait au couple que la maison de courtage du Mouvement Desjardins ne donnera pas suite à leur demande. M. Perreault se porte à la défense de son courtier en indiquant aux retraités que leurs portefeuilles s'étaient globalement appréciés de 5 % par année. " Nous vous soulignons que les obligations d'épargne du Canada, pour la même période, avec un terme de 5 ans, offraient un taux d'intérêt annuel de 4,3 %, soit un taux inférieur au rendement que vous avez obtenu chez VMD. "

Une parenthèse. Au service de gestion de portefeuille Desjardins Sécurité financière, les gestionnaires ont obtenu, pour la période de trois ans terminée le 31 décembre 2005, un rendement annuel composé de 11,6 % avec leur portefeuille diversifié en actions et obligations, et un rendement de 17,0 % avec leur portefeuille d'actions canadiennes de grande capitalisation. Ils ont même réussi à obtenir, pour la même période, un rendement annualisé de 6,6 % avec leur portefeuille d'obligations, dit conservateur.

" Dans l'analyse d'un portefeuille, explique M. Perreault dans sa lettre à Manon et Michel, on ne peut prendre en considération les pertes réalisées sur certains titres sans tenir compte des gains réalisés sur d'autres. Dans le cas présent, la balance est positive et nous sommes dans l'impossibilité d'identifier un préjudice. "

" De plus, ajoute M. Perreault, le fait que votre portefeuille ou qu'une des recommandations émises par votre conseiller n'obtiennent pas le résultat escompté ne constitue pas une faute professionnelle, car l'obligation d'un conseiller en est une de moyens et non de résultats. Un manque d'opportunité ne constitue pas non plus une faute susceptible d'être sanctionnée. "

Autre argument évoqué pour justifier le refus de verser un dédommagement à Manon et Michel: le conseiller de VMD a respecté leur profil d'investisseur, soit " 40 % revenu " et " 60 % croissance à long terme ".

" Nous avons analysé la composition d'ensemble de vos comptes pour toute la période sous enquête et nous avons constaté que, de l'ouverture de vos comptes à votre transfert (février 2006) chez CDBN (Courtage direct Banque Nationale), votre portefeuille comportait 40 % de titres à revenu fixe et ce, sans même tenir compte des parts de fiducie qui générait également du revenu. "

Il est vrai que l'on retrouve dans les comptes de Manon et Michel plusieurs transactions d'achat et de vente de titres à revenu fixe.

Certaines transactions dans les fiducies de revenu portaient par ailleurs sur des investissements fort élevés par rapport à la valeur de l'actif total sous gestion. On parle ici de transactions individuelles qui ont joué dans la fourchette de 50 000 $ à 85 000 $.

Du côté des actions d'entreprises, on retrouve là aussi plusieurs placements individuels extrêmement élevés par rapport à l'actif sous gestion, voire des investissements allant de 45 000 $ à 79 000 $ par entreprise.

Malgré les risques élevés que le courtier faisait subir à Manon et Michel en investissant à maintes reprises des sommes importantes dans des titres individuels, le service de la conformité de Valeurs mobilières Desjardins ne voit là aucun manquement.

Puisque les plaintes formulées par le couple ont été contredites par les témoignages du personnel de VMD, le service de conformité de VMD ne les a pas retenues.

Pour prouver à Manon et Michel qu'ils étaient habilités à suivre adéquatement les nombreuses transactions effectuées dans leurs comptes, le premier vice-président Opérations et chef de la conformité leur signale d'ailleurs dans sa lettre: " Enfin, vous avez quitté VMD pour un courtier exécutant, CDBN, qui s'adresse à des investisseurs autonomes, capables de prendre leurs propres décisions d'investissements. Nous constatons donc que vous avez les compétences requises à cet effet. "

Après avoir indiqué que Manon et Michel n'étaient rien de moins que des spéculateurs, la porte-parole de Valeurs Mobilières Desjardins, Carole Foster, a confirmé à La Presse Affaires que les dossiers du couple ont été transmis à l'ombudsman du Mouvement Desjardins.