Le Québec entier est plongé dans un débat existentiel sur sa capacité d'accueillir plus (ou moins) d'immigrants.

Le Québec entier est plongé dans un débat existentiel sur sa capacité d'accueillir plus (ou moins) d'immigrants.

Le moment est peut-être bien choisi pour rappeler qu'au-delà des émotions, le dossier comporte un volet économique important.

En économie, il est de tradition de considérer l'immigration comme un plus. Si vous décidez de quitter le Québec pour vous installer, disons, en Alberta, toute la contribution que vous pouvez faire à l'économie en travaillant, en consommant, en payant des impôts, en faisant des enfants ou même en exerçant du bénévolat, tout cela est perdu pour la société québécoise, au profit de l'Alberta.

De la même façon, on considère généralement que plus la croissance démographique est élevée, mieux c'est, surtout dans les sociétés vieillissantes comme le Québec.

Une croissance démographique anémique suppose qu'il y aura moins de gens pour financer des programmes sociaux de plus en plus coûteux.

Disons-le tout de suite, il y a de nombreuses exceptions.

Ainsi, depuis 40 ans, la population du Bangladesh est passée de 45 à 150 millions d'habitants, celle du Congo (ex-Zaïre), de 24 à 66 millions. Si la croissance économique devait aller de pair avec la croissance démographique, ces deux dépotoirs de misère devraient figurer parmi les pays les plus riches de la planète!

En revanche, des pays où la croissance démographique est négligeable, comme la Suisse, la Norvège ou le Japon, possèdent de solides assises économiques.

Autrement dit, cela ne sert à rien de multiplier votre population si votre économie n'est pas capable de suivre: tout le monde s'appauvrit.

Or, même si le Québec accuse un retard dans plusieurs dossiers (productivité, fiscalité, lourdeur bureaucratique, dégradation du réseau de santé et des infrastructures, effondrement du manufacturier, entre autres), il conserve sa capacité de créer suffisamment d'emplois pour tous les nouveaux arrivants sur le marché du travail: le taux de chômage n'a jamais été aussi bas en 30 ans.

S'il veut éviter que ses services publics se dégradent davantage, il doit augmenter sa population.

D'autre part, s'il est vrai que les immigrants constituent en principe un atout, ce n'est pas évident au départ. Selon les chiffres les plus récents (juin 2007), les 10 pays qui fournissent le plus d'immigrants au Québec sont, dans l'ordre, le Maroc, le France, la Chine, l'Algérie, la Roumanie, la Colombie, le Mexique, l'Inde, Haïti et le Liban.

Si on fait exception de la France, il s'agit essentiellement de neuf pays pauvres. Calculé aux taux de change courants, le produit intérieur brut (PIB) par habitant dans ces neuf pays se situe en moyenne à 2890$, 10 fois moins qu'au Québec (l'écart varie de 720$ en Haïti à 6930$ au Mexique).

Une enquête publiée il y a trois ans par Statistique Canada montre que 46% des immigrants qui s'installent au Québec sont susceptibles d'être considérés à faibles revenus pendant au moins un an.

Et les statistiques du ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale montrent que 26% des adultes prestataires de l'aide sociale sont nés hors du Canada. Quand on sait que les immigrants (définis comme étant toute personne née hors du Canada) représentent environ 11% de la population québécoise, on voit qu'il y a là comme un déséquilibre.

Dans ces conditions, on peut facilement penser que l'immigration n'apporte pas grand-chose au Québec. Une opinion largement répandue veut que les nouveaux arrivants proviennent de pays pauvres pour profiter de la générosité de nos programmes sociaux, et que les Québécois sont assez bonasses pour accepter cela.

La réalité n'est pas aussi simple.

Les 26% dont nous venons de parler, cela correspond à 61 000 adultes. Or, ce chiffre ne représente que 8% des résidants québécois nés hors du Canada.

Autrement dit, s'il est vrai que les immigrants sont surreprésentés à l'aide sociale compte tenu de leur poids démographique, il ne faut pas oublier que 92% d'entre eux se débrouillent quand même sans chèque de BS.

Cela peut s'expliquer assez facilement: la majorité des immigrants qui arrivent au Québec (c'est la même chose pour le reste du Canada) tombent dans la catégorie des immigrants dits «économiques».

Ils ont quitté leur pays pour améliorer leur sort et celui de leur famille. Ils sont déterminés à trimer pour y arriver, et savent que la dépendance à l'égard de l'aide sociale ne les mènera nulle part.

On peut aussi noter que sur les 61 000 prestataires nés hors du Canada, 64% sont aptes au travail. Le chiffre peut paraître élevé, mais il n'est finalement pas très éloigné des 62% observés chez l'ensemble des assistés sociaux québécois.

Ce n'est pas tout. À mesure que le temps passe, les immigrants, dans leur très vaste majorité, parviennent effectivement à améliorer leur condition.

À des fins statistiques, les immigrants sont divisés en trois groupes, en fonction du nombre d'années passées au Canada.

Selon la définition officielle de Statistique Canada, ceux qui sont arrivés depuis 1 à 6 ans sont considérés comme nouveaux immigrants; pour un séjour de 7 à 16 ans, on parle d'immigrants de moyenne date; enfin, ceux qui sont établis au Canada depuis 17 ans ou plus sont définis comme immigrants de longue date.

Voyons maintenant quelques chiffres hautement intéressants.

Il est vrai que les nouveaux immigrants connaissent des débuts difficiles dans leur pays d'adoption: 47% d'entre eux, pratiquement un ménage sur deux, se situent sous le seuil de faible revenu pendant au moins un an.

Chez les immigrants de moyenne date, la situation s'améliore lentement: 41% des ménages se situent encore sous le seuil de faible revenu, toujours pendant au moins un an.

Mais la situation s'améliore de façon spectaculaire chez les immigrants de longue date: seulement 18% d'entre eux ne sont pas parvenus à se hisser au-dessus du seuil. Pour l'ensemble de la population canadienne, la proportion correspondante est de 23%.

Les chiffres que nous venons de voir concernent des ménages qui demeurent un an ou deux sous le seuil de faible revenu, et qui parviennent à s'en sortir.

Mais qu'en est-il de ceux qui demeurent chroniquement dans la misère? Pour le savoir, Statistique Canada a mesuré le pourcentage de gens qui demeurent sous le seuil de faible revenu au moins trois années sur six.

Résultat: 31% chez les nouveaux immigrants, 22% chez ceux de moyenne date, et seulement 8% chez les immigrants de longue date. Chez les gens nés au Canada, la proportion est de 10%.

Autrement dit, au-delà de toutes les perceptions et de tous les préjugés, les chiffres montrent, noir sur blanc, que la situation financière des immigrants, avec le temps, s'améliore à tel point qu'elle finit par surpasser celle des Canadiens de naissance.

Évidemment, rendus à ce point, les immigrants de longue date travaillent, paient des impôts, consomment, contribuent à la prospérité générale.

Voilà pourquoi, en économie, on pense généralement que l'immigration est un atout.

Nous avons abordé la question sous un angle essentiellement économique. Ce qu'il est beaucoup plus difficile de chiffrer et de mesurer, c'est la capacité de la société d'accueil à intégrer harmonieusement les nouveaux arrivants, et inversement, la capacité de ceux-ci à respecter les valeurs et la culture de la société d'accueil.