Les Américains, les Canadiens et les Britanniques abaissent les taux d'intérêt pour atténuer le choc de la crise du crédit. Mais les Européens se braquent. Que se passe-t-il sur le Vieux Continent?

Les Américains, les Canadiens et les Britanniques abaissent les taux d'intérêt pour atténuer le choc de la crise du crédit. Mais les Européens se braquent. Que se passe-t-il sur le Vieux Continent?

Ballottée entre une poussée de l'inflation et une économie en perte de vitesse, la Banque centrale européenne (BCE) a causé une certaine déception la semaine dernière en laissant son taux directeur inchangé à 4%.

La BCE s'inscrit ainsi en faux face à d'autres banques centrales, dont la Banque d'Angleterre et la Banque du Canada, qui ont choisi d'abaisser les taux ces derniers jours.

Sans oublier que la Réserve fédérale (Fed) devrait encore réduire les taux américains demain, selon les experts.

Ce faisant, la BCE vient encore de se mettre à dos la France, l'Italie et les entreprises qui réclament une détente des taux pour contrecarrer les effets combinés d'un euro fort et de la crise du crédit.

La vigueur de l'euro, qui touchait des records historiques face au billet vert américain récemment, freine les exportations. Et l'Europe sera affectée par le ralentissement américain.

Si bien que la croissance se limitera à 1,9% en 2008 contre 2,6% cette année - une nette détérioration par rapport aux prévisions antérieures, affirmait jeudi l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).

Entre-temps, la flambée des prix du pétrole et la valse des étiquettes sur les produits laitiers et céréaliers - dont la demande mondiale explose - alimentent la surchauffe des prix en Europe.

L'inflation dans la zone euro a atteint 3% en novembre, un sommet en plus de six ans.

Les salaires

Mais, en y regardant de plus près, on réalise que la BCE a les mains liées. Car l'inflation n'est pas seulement un problème venu d'ailleurs. Il y a aussi surchauffe dans l'engrenage européen.

Le chômage sur le Vieux Continent a chuté à un creux historique en octobre. Une bonne nouvelle en soi, mais qui accentue la pression sur les coûts de main-d'oeuvre, selon la BCE. Des tensions sont d'ailleurs manifestes.

En Allemagne, première économie européenne, le chemin de fer national Deutsche Bahn vient d'accorder à son personnel des hausses salariales de 10 à 13% en trois ans.

Or, de l'avis des experts, cette entente place la barre très haut et incitera les employés de l'État à en demander autant.

Le président de la BCE, Jean-Claude Trichet, s'est même permis de critiquer le gouvernement allemand pour avoir consenti aux employés de la Deutsche Post un salaire horaire minimum de 9,80 (14,30 $ CAN) - le double du plancher salarial dans les compagnies de livraison postale.

Inflation croissante, économie en perte de vitesse, la BCE est devant un gros casse-tête, qui laisse craindre un retour de la «stagflation» des années 70, souligne Jim O'Neil, économiste en chef de Goldman Sachs.

La contagion

Entre-temps, comme on le disait, les grands argentiers aux États-Unis, au Canada et en Angleterre ont jugé bon de cibler prioritairement la crise du crédit en abaissant les taux.

L'une des raisons, c'est que la crise s'étend et déstabilise les marchés internationaux du crédit.

Un exemple: la semaine dernière, le taux interbancaire à un mois au Royaume-Uni (le taux Libor, auquel les banques se prêtent de l'argent entre elles) a atteint un sommet de neuf ans.

Le Libor a atteint 6,75% à un moment donné, la preuve que les banques ne se font pas confiance.

Les autorités monétaires sont clairement inquiètes. Or, ce phénomène n'est pas un problème uniquement british. Il a des conséquences de ce côté-ci de l'Atlantique, car plusieurs banques américaines fixent les taux hypothécaires variables en fonction du Libor.

Actuellement, le taux de ces hypothèques est fixé à 6% au-dessus du Libor. Ce qui obligerait le propriétaire d'une maison aux États-Unis à payer un taux étouffant de 12 à 13% sur une nouvelle hypothèque à taux variable.

Plus de 30% des titulaires d'hypothèques subprime à taux variable sont déjà en retard dans leurs paiements aux États-Unis, et la banque saisira 775 000 maisons d'ici deux ans, selon le Crédit Suisse.

Ramifications

La crise est sérieuse. Et l'intervention des banques centrales, de concert avec le plan de George Bush de geler les taux de certaines hypothèques, visent à atténuer le choc, quoique ces gestes soient critiqués par plusieurs.

En somme, les stratégies divergent et, visiblement, il n'y a pas de solution miracle. Cela nous rappelle que la crise du crédit a des ramifications partout et qu'elle survient dans une conjoncture mondiale complexe. Il faudra donc du temps avant d'en venir à bout.