J'ai un ami qui voyage beaucoup, et qui me parlait récemment du Zimbabwe, ou plus précisément du golf de Harare, la capitale.

J'ai un ami qui voyage beaucoup, et qui me parlait récemment du Zimbabwe, ou plus précisément du golf de Harare, la capitale.

Depuis son indépendance il y a 27 ans, le Zimbabwe s'enfonce inexorablement dans la misère, mais les sept ou huit dernières années ont été particulièrement pénibles.

Dans ce pays tout croche, il y a encore des choses qui fonctionnent à peu près normalement, dont le golf de Harare. J'ai bien écrit «à peu près normalement» parce qu'au golf de Harare, les joueurs se présentent au chalet pour commander et payer leurs consommations du «19e trou» AVANT de disputer leur ronde de golf.

Pourquoi cette étrange coutume? Parce que, pendant la durée de la partie (environ quatre heures et demie), les prix des consommations risquent de doubler!

Depuis un peu plus de deux ans, le Zimbabwe est aux prises avec le pire taux d'inflation de la planète.

L'an dernier, le New York Times rapportait qu'une feuille de papier de toilette à Harare coûtait 417 dollars zimbabwéens. Pas un rouleau, une seule feuille. Comme il y a environ 350 feuilles dans un rouleau, celui-ci coûte près de 150 000 dollars.

Bien sûr, pour un étranger, cela ne fait pas une grosse différence: la valeur du dollar zimbabwéen fond comme un cube de glace dans l'eau bouillante. En mai 2006, lors de la publication de ce reportage, 150 000 dollars zimbabwéens équivalaient à 69 cents US. Mais pour le Zimbabwéen, qui est payé et qui épargne en dollars zimbabwéens, c'est une authentique catastrophe.

Ce n'est pas tout: toujours en mai 2006, le taux d'inflation officiel au Zimbabwe était de 1043%. Selon la dernière estimation officielle (juin 2007), il s'élève maintenant à 3714%. C'est donc dire qu'aujourd'hui, il faut être multimillionnaire pour se procurer des biens aussi essentiels que du pain ou du papier de toilette.

Un coup d'oeil sur l'évolution du prix du pain donne le vertige. Entre décembre 2004 et août 2005, le prix du pain a doublé; entre août et décembre 2005, il a sextuplé; entre décembre 2005 et juin 2006, il a doublé; entre juin 2006 et maintenant, il a décuplé. Autrement dit, en dollars zimbabwéens, le pain coûte 240 fois plus cher qu'il y a deux ans et demi.

Les prix montent plus vite que les salaires. Dans un contexte d'hyperinflation, cela aboutit à des situations absurdes: le prix d'un billet d'autobus aller-retour pour aller au travail est plus élevé que le salaire quotidien moyen!

Les petits épargnants qui avaient mis de l'argent de côté à la banque ont tout perdu, et personne ne veut plus confier ses épargnes aux banques, qui paient du 7% d'intérêt annuel.

Les états financiers des entreprises et des administrations publiques n'ont plus aucun sens, et il est devenu impossible de planifier des projets, même à très court terme. Quand les prix doublent à toutes les 24 heures...

Et ce n'est pas fini. Les analystes parlent déjà d'un taux d'inflation de 6000% l'automne prochain, et de 10 600% en janvier 2008.

Ce cul-de-sac financier pose, entre autres, trois questions:

- Comment peut-on en arriver là?

- Le Zimbabwe peut-il s'en sortir un jour?

- La même chose peut-elle arriver au Canada?

Les causes de l'hyperinflation au Zimbabwe sont assez connues. Officiellement, le gouvernement de Robert Mugabe affirme qu'il s'agit d'un complot des puissances occidentales pour déstabiliser le pays. Mugabe accuse notamment Londres d'avoir un agenda secret visant à recoloniser le Zimbabwe.

Selon cette théorie, les milieux d'affaires (étrangers et locaux) seraient le fer de lance de ce complot. Encore hier, le vice-président Msika s'en prenait aux «traîtres, renégats, saboteurs de l'économie et obsédés du gain», rien de moins.

Tous les observateurs sérieux s'entendent pour dire que le gouvernement Mugabe, autoritaire, corrompu et incompétent, fait bien plus partie du problème que de la solution. En 27 ans de pouvoir, Mugabe a tout fait pour décourager l'investissement étranger, et c'est précisément un exode massif de capitaux, en 2004, qui a donné le signal de l'hyperinflation.

Le gouvernement a empiré les choses en confisquant les fermes exploitées par les Blancs, qui fournissaient l'essentiel de la production agricole et des exportations. La production s'est effondrée, le pays manque de tout et n'a plus les moyens d'importer.

Comme toujours en cas de grave pénurie, les prix se sont mis à monter et le gouvernement s'est montré incapable de les contrôler. Pire: pour payer ses fonctionnaires et ses militaires, le gouvernement s'est mis à imprimer de la monnaie, ce qui est à peu près la meilleure façon de stimuler l'inflation. Aujourd'hui, la monnaie zimbabwéenne ne vaut plus rien, le taux officiel de chômage est de 70%, presque toute l'activité économique est dominée par le marché noir.

Comme on s'en doute, la population a protesté, mais Mugabe a réagi de la pire façon: en écrasant l'opposition. Et les erreurs folles continuent: pour encourager la reprise de la production agricole, le gouvernement vend de l'essence à rabais aux producteurs. Ceux-ci revendent la même essence 10 fois plus cher sur le marché noir et laissent leurs terres en friche. Brillant!

C'est donc une combinaison d'erreurs administratives, de mauvaise gestion, de contrôles déficients et de politiques publiques aberrantes qui ont mené à l'hyperinflation.

Le pays peut-il s'en sortir? Le cas du Zimbabwe n'est pas unique. Israël, l'Argentine, le Pérou, et plus récemment l'Ukraine ont connu l'hyperinflation. Un des cas les plus connus est certainement celui de l'Allemagne des années 20. Tous s'en sont sortis, mais en appliquant des thérapies radicales: réformes monétaires, politiques de taux d'intérêt agressives, contrôle des prix et des salaires, resserrement des finances publiques.

Dans le cas du Zimbabwe, ce sera plus difficile, en particulier parce que Mugabe, convaincu que le monde entier complote contre lui, refuse toute aide extérieure.

Une telle catastrophe peut-elle survenir au Canada? C'est improbable, mais il faut demeurer vigilant. Un pays aussi riche qu'Israël, aussi récemment que dans les années 80, a perdu le contrôle des prix et des salaires. Le taux d'inflation israélien est grimpé, en 1984, jusqu'à 450%.

Le Canada n'a jamais connu l'hyperinflation, mais il s'est permis un flirt dangereux, entre 1974 et 1982, avec un taux d'inflation annuel moyen de 9,8%. C'est à des années-lumière du Zimbabwe, certes, mais cela signifie tout de même que les prix ont augmenté de 132% pendant ces huit années, ce qui n'est pas rien. Pour stopper cela, il a fallu introduire un programme obligatoire de contrôle des prix et des salaires.

Plus près de nous, à la fin des années 1980, la spirale inflationniste a commencé à redonner des signes de vie, notamment à cause d'une surchauffe économique en Ontario. La Banque du Canada est intervenue énergiquement en haussant les taux d'intérêt, ce qui a ralenti l'économie ontarienne mais qui a aussi tué l'inflation dans l'oeuf.