Des frissons dans le dos! C'est ce que donne la lecture de l'éclairant reportage de ma collègue Hélène Baril sur les dérapages financiers des universités québécoises.

Des frissons dans le dos! C'est ce que donne la lecture de l'éclairant reportage de ma collègue Hélène Baril sur les dérapages financiers des universités québécoises.

La dérive majeure, c'est certainement la folie des grandeurs de l'Université du Québec à Montréal, qui s'est lancée tête baissée dans un ruineux programme immobilier.

Le Complexe des sciences, axé autour du hideux suppositoire de l'avenue du Président-Kennedy, ainsi que l'ambitieux projet de l'îlot Voyageur, ont entraîné de telles dépenses et de tels dépassements de coûts que l'UQAM est maintenant l'université la plus endettée au Canada.

Depuis janvier 2006, l'agence de notation Moody's a abaissé deux fois la cote de crédit de l'UQAM. Elle se situe maintenant à Baa1. Du point de vue des créanciers, cela signifie que le dossier de crédit de l'UQAM se situe au même niveau que des emprunteurs comme le Chili, la Malaisie, l'Estonie ou la Pologne. Misère!

Le plus dramatique, comme l'explique Hélène Baril, c'est que ce sont les contribuables québécois (c'est-à-dire les 59 % de Québécois qui paient encore des impôts) qui risquent d'être pris pour ramasser la facture.

La deuxième décote de Moody's, il y a trois mois, ne pouvait survenir à un pire moment.

Presque toutes les universités québécoises sont dans le rouge, et les rares qui n'ont pas de déficit accumulé (Concordia, HEC, Polytechnique) parviennent tout juste à s'en sortir par la peau des fesses.

Et la situation se détériore rapidement. Au 31 mai 2005, l'ensemble des universités québécoises affichait un déficit accumulé de 242 millions; deux ans plus tard, ce chiffre dépasse les 400 millions.

Cette situation est malsaine parce qu'elle impose une tension additionnelle aux finances publiques québécoises. C'est bien la dernière chose dont on a besoin.

La structure du financement universitaire, au Québec, est sensiblement différente de ce qu'on retrouve ailleurs au Canada. Le Québec a choisi de geler les droits de scolarité. En fait, compte tenu de l'inflation, les droits au Québec ne sont pas vraiment gelés : ils diminuent année après année.

Au Québec, plus de 71 % des revenus des universités proviennent du gouvernement provincial. En Ontario, la proportion correspondante est de 48 %. La moyenne canadienne se situe à 56 %. Le gel signifie donc qu'au Québec, beaucoup plus que dans les autres provinces, les études des futurs diplômés sont financées par l'ensemble des contribuables.

Les grands gagnants sont évidemment les étudiants, ironiquement issus, pour la plupart, de familles à l'aise. Les droits de scolarité ne représentent en effet que 16 % des revenus des universités québécoises, contre 38 % en Ontario, et une moyenne canadienne de 30 %.

On comprend donc que toute détérioration des finances universitaires, au Québec, a un impact important (beaucoup plus important que dans les autres provinces, en tout cas) sur les finances publiques, et donc sur le portefeuille des contribuables.

Dans ces conditions, la question que pose Hélène Baril saute aux yeux. Pendant que " les universités québécoises crient famine et accumulent les déficits, écrit-elle, elles se lancent allègrement dans d'ambitieux projets immobiliers dont le financement et la rentabilité sont loin d'être assurés ".

Qu'est-ce qui peut expliquer une telle inconscience?

Si les universités sont dans le rouge, c'est parce que leurs revenus (contributions gouvernementales, droits de scolarité, vente de produits, revenus de location et de placement, dons) sont inférieurs à leurs dépenses (salaires et les avantages sociaux, intérêts, publicité, taxes, etc.).

Les immobilisations, c'est-à-dire, précisément, des projets comme le Complexe des sciences de l'UQAM, sont financées par des émissions d'obligations et autres titres de créance.

C'est un peu comme un ménage qui veut acheter une maison. Il est évidemment impossible de financer cet achat à même les revenus annuels des conjoints (en espérant que ceux-ci gèrent mieux leurs dépenses courantes que les universités). Il faut donc prendre une hypothèque.

Le problème, c'est que l'UQAM ne peut pas vendre son suppositoire de l'avenue du Président-Kennedy du jour au lendemain. En attendant, elle doit supporter une dette de plus en plus lourde, et c'est le gouvernement qui devra éventuellement s'en porter garant.

Cette situation remet clairement en cause la vaste autonomie dont disposent les universités pour se lancer avec légèreté dans de vastes projets immobiliers, et pour émettre des obligations en conséquence sur les marchés financiers.

Le reportage montre aussi du doigt une autre effet secondaire détestable de l'autonomie des universités: la chasse aux étudiants. Comme le financement et le prestige d'une université augmentent avec sa fréquentation, les universités québécoises dépensent une fortune en publicité et marketing, voire en ouverture de nouveaux campus, pour se chiper des étudiants les unes aux autres. Si c'étaient des entreprises privées, il n'y aurait rien à redire. La direction devrait rendre des comptes à ses actionnaires.

Mais il s'agit d'institutions dont l'essentiel du financement provient des fonds publics. Encore une fois, ce sont les contribuables qui font les frais des campagnes de maraudage interuniversitaires.

Et ensuite, on viendra s'étonner des succès de Mario Dumont...