Une opinion largement répandue veut que le Québec affronte une triple menace démographique:

Une opinion largement répandue veut que le Québec affronte une triple menace démographique:

1- Sa population vieillit.

2- Il est incapable d'attirer des immigrants.

3- Sa population (Québécois de souche et immigrants) le déserte pour aller chercher fortune dans les provinces riches.

La première affirmation est abondamment documentée. Le vieillissement de la population est bien réel et représente un lourd handicap.

Pour ce qui est des deux autres, en revanche, il s'agit largement d'impressions non fondées, comme le montrent des chiffres que vient de publier l'Institut de la statistique du Québec (ISQ).

Le Québec, malgré un certain nombre de contraintes (barrière linguistique, sévérité du climat), demeure un choix très populaire auprès des immigrants. Entre 2001 et 2005, le Canada a accueilli un peu plus de 1,3 million d'immigrants. Dans leur immense majorité (93%), ces nouveaux venus s'installent dans quatre provinces. Comme on s'en doute, l'Ontario domine largement le palmarès: à elle seule, la province attire 54% des immigrants qui choisissent le Canada. Cela représente 709000 nouveaux citoyens.

Quel est le deuxième choix des immigrants? Malgré son ouverture sur le Pacifique et la douceur de ses hivers, ce n'est pas la Colombie-Britannique, et encore moins la riche Alberta, mais bien le Québec, avec 219000 nouveaux arrivants, ou 17% du total, ce qui n'est pas si mal pour une province que certains se complaisent à décrire comme un repoussoir. La Colombie-Britannique suit d'assez près avec 207000 immigrants, puis arrive l'Alberta avec 95000. Les autres provinces se partagent les miettes.

Les Canadiens émigrent peu à l'étranger, de sorte que toutes les provinces, sur le plan des migrations internationales, sont excédentaires. Ainsi, on a vu que l'Ontario a accueilli 709000 immigrants au cours des cinq dernières années. Pendant la même période, 100000 Ontariens ont choisi d'émigrer dans un autre pays (ces chiffres ne concernent que l'émigration internationale; ils ne tiennent donc pas compte des migrations interprovinciales, dont nous reparlerons plus loin). Le gain net, pour la province voisine, se situe donc à 609000 personnes.

Les Québécois émigrent encore moins que les autres Canadiens: seulement 35000 départs internationaux en cinq ans, ce qui lui permet de dégager un solde positif de 171000 citoyens additionnels.

Mais le Québec est-il capable de retenir ses citoyens tentés de s'installer dans une province plus riche?

Sur ce plan, il réussit assez bien à tirer son épingle du jeu.

Certes, dès qu'il est question de migrations interprovinciales, un nom transcende tous les autres; Alberta! l'opulente Alberta, où l'argent du pétrole coule à flots, où le chômage est inexistant, où les contribuables ne paient pratiquement pas d'impôts. Évidemment que le paradis albertain agit comme un aimant sur les autres Canadiens.

Toujours entre 2001 et 2005, l'Alberta a attiré pas moins de 356000 citoyens des autres provinces; pendant ce temps, 251000 Albertains ont choisi de s'établir ailleurs au Canada. Cela laisse un énorme solde migratoire interprovincial de 105000 nouveaux Albertains.

À l'exception de la Colombie-Britannique, où les arrivées dépassent légèrement les départs, et de la minuscule Île-du-Prince-Édouard, dont les chiffres sont insignifiants, toutes les provinces canadiennes terminent la période avec un solde interprovincial négatif.

Il est donc exact de dire que l'Alberta draine la population des autres provinces.

Et ce n'est pas le Québec, et de loin, qui est la principale victime.

En cinq ans, la Saskatchewan a perdu 36000 citoyens au profit des autres provinces, l'Alberta surtout. Comme l'immigration internationale est trop faible pour compenser ses pertes, la province est en constant recul démographique. Cette province de 985000 habitants perd en moyenne 5000 citoyens par année. C'est une situation beaucoup plus dramatique qu'au Québec.

Toujours pendant la même période, 139000 Québécois ont déménagé ailleurs au Canada, mais ils ont été en bonne partie remplacés par 122000 Canadiens venus des autres provinces. Autrement dit, dans ses échanges démographiques avec le reste du Canada, le Québec a perdu 17000 citoyens en cinq ans, en moyenne 3400 par année. Parler d'exode, dans ces conditions, revient à crier au loup pour rien.

Les choses se présentent autrement plus mal au Manitoba, qui perd 21000 citoyens sur une population de 1,2 million. Mêmes chiffres déprimants dans l'Atlantique. En tenant compte du poids démographique de chaque province, on peut dire que pour chaque tranche de 100 Québécois qui quittent leur province pour s'établir ailleurs au Canada, on compte 238 Néo-Écossais, 764 Manitobains, 1147 Terre-Neuviens, 1508 Saskatchewanais. Ça, c'est de l'exode!

Même les Ontariens n'échappent pas à la séduction albertaine. Depuis 2003, pour la première fois de son histoire, l'Ontario perd des citoyens au profit du reste du Canada: 5100 pertes nettes en 2003, 7100 l'année suivante, 15200 l'an dernier.

L'Ontario et le Québec ont cependant un énorme avantage sur les autres. L'importance de leur immigration internationale compense très largement les pertes interprovinciales.

Tous les chiffres que nous venons de voir reflètent un changement radical par rapport aux années précédentes, c'est-à-dire la période 1996-2001. Pendant ces cinq annés, le solde interprovincial net du Québec a atteint 70000 pertes, alors que l'Ontario enregistrait 58000 gains. C'est sans doute en pensant à cette sombre période que l'on peut être porté à penser que le Québec est victime d'un exode au profit de sa voisine. C'était vrai, ce ne l'est plus.