(Montréal) Maman veut, mais papa ne veut pas — ou l’inverse. Des parents séparés qui ne s’entendent pas font appel aux avocats et aux tribunaux pour que soit tranchée cette difficile question : envoyer ou pas ses enfants à l’école lorsqu’elles vont rouvrir ?

Le retour en classe et en garderie est prévu pour lundi prochain dans la plupart des régions du Québec, le 19 mai dans certains secteurs de Lanaudière et le 25 mai dans le Grand Montréal.

Aucun parent ne sera forcé d’y envoyer ses enfants, a précisé le gouvernement.

Or, la question divise.

Et parfois au sein d’une même famille. Ce conflit peut être encore plus difficile lorsque les parents sont séparés.

Les appels à ce sujet s’accumulent, a dit en entrevue Me Érica Gosselin.

Des parents sont pour le retour en classe et d’autres sont contre, dit-elle. « J’ai eu beaucoup d’appels », a confié l’avocate et médiatrice en droit familial qui a son bureau à Cowansville et pratique dans le district judiciaire de Bedford.

L’avocate spécialisée en droit familial Bianca Vigneault et son associé, Me Jean-Frédéric St-Amour, ont aussi reçu des appels de parents qui ne s’entendent pas.

Me Vigneault pratique dans les districts judiciaires de Terrebonne et de Joliette, deux endroits où le retour en classe et en service de garde aura lieu à divers moments du 11 au 25 mai, selon les municipalités.

Elle n’a pas eu à se rendre en cour pour l’instant, mais les appels témoignent d’une inquiétude. « C’est un casse-tête pour les parents séparés », car il y en a qui ne s’entendent pas du tout, ajoute-t-elle.

C’est le cas aussi à Montréal. Me Caroline Harnois, qui pratique en droit familial au sein du cabinet Lavery Avocats, a reçu bon nombre d’appels de parents. « C’est très d’actualité cette semaine », a-t-elle commenté en entrevue.

C’est le cas parce que beaucoup de parents montréalais devaient aviser leurs écoles lundi si leurs enfants allaient y aller. « On est énormément consultés. »

Le différend entre parents peut toutefois se régler lors d’une séance de médiation familiale, a précisé Me Érica Gosselin. Beaucoup de médiateurs offrent des séances à distance, par visioconférence, en ces temps de pandémie de la COVID-19.

Mais s’il n’y a pas d’entente, il faut aller devant un juge.

Ce qui n’est pas facile actuellement, car seulement les cas urgents sont entendus, avertit Me Harnois. « Les causes procèdent au compte-gouttes », affirme l’avocate, ajoutant qu’un juge procède au tri des cas qui vont avoir le feu vert.

Ce dernier insiste pour que les parents se parlent d’abord. Me Harnois affirme avoir passé beaucoup de temps à négocier des solutions. « C’est mieux de tenter de s’entendre, explique-t-elle. Même si la solution n’est pas parfaite, au moins ce sont les parents qui l’ont décidée et pas un tiers. »

Toutefois, on ne peut couper la poire en deux dans une telle situation : soit l’enfant va à l’école, soit il n’y va pas, souligne-t-elle.

L’autorité parentale et les inquiétudes

Au bout du compte, cette question du retour à l’école relève de l’autorité parentale, qui est exercée conjointement par les deux parents. Il faut donc l’accord des deux pour que le petit prenne le chemin du retour à l’école lundi, a expliqué Me Gosselin.

« Le critère qui va guider un juge appelé à se pencher sur cette question est le meilleur intérêt de l’enfant », précise-t-elle. « Le critère numéro un », opine Me Caroline Harnois.

La loi prévoit que plusieurs facettes du bien-être de l’enfant doivent être prises en considération : ses besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial ainsi que tous les autres aspects de sa situation.

Le magistrat peut donc évaluer son état de santé — l’enfant est-il atteint d’une maladie le rendant plus à risque de contracter la COVID-19 ? – ainsi que ses capacités scolaires : si l’enfant a des difficultés d’apprentissage, Me Gosselin a souligné qu’elle ne sera pas étonnée qu’un juge penche en faveur d’un retour à l’école.

Mais il y a beaucoup d’autres difficultés vécues par les familles qui peuvent entrer en ligne de compte. Si l’un des parents a des problèmes de santé, par exemple, ou est le proche aidant d’une personne malade.

« Chaque famille est unique », dit Me Vigneault.

Les parents qui l’ont consultée ont soulevé plusieurs inquiétudes, rapporte Me Harnois : la santé de leur progéniture, bien sûr, mais aussi l’inconnu : « l’inquiétude de ne pas savoir dans quoi ils (les parents) s’embarquent ».

Normalement, les conflits sur l’autorité parentale portent sur le choix de l’école — francophone ou anglophone ? publique ou privée ? — ou sur la prise de médicaments par le bambin.

La situation actuelle est évidemment nouvelle.

Dans le cas du retour en classe ou en garderie, Me Gosselin s’attend à des décisions au cas par cas.

Comme d’autres avocats, elle attend les premiers jugements à ce sujet pour conseiller les parents québécois.