Agnès Varda a d'abord tracé le chemin. Puis Diane Kurys, Nicole Garcia, Danièle Thompson, Anne Fontaine, Tonie Marshall et quelques autres l'ont suivie. Aujourd'hui, les réalisatrices contribuent beaucoup au dynamisme du cinéma français. À Cannes, les deux dernières lauréates de la Caméra d'or sont Houda Benyamina (Divines) et Léonor Serraille (Jeune femme). Lors des plus récents Rendez-vous du cinéma français, tenus à Paris au début de l'année, La Presse a discuté de la place des femmes dans le cinéma de l'Hexagone avec différentes intervenantes.

Sara Forestier, actrice et cinéaste (Suzanne, M)

Avez-vous l'impression que les femmes sont au coeur du renouveau du cinéma français?

Nous n'en sommes peut-être pas encore là, mais j'ai l'impression qu'on avance. En revanche, j'ai aussi le sentiment que nous sommes un peu en retard quant à la prise de parole des femmes, surtout dans les médias. C'est très étrange. Je ne sais pas pourquoi les Françaises semblent avoir peur de s'afficher féministes dans l'espace public. En tant qu'actrices, nous sommes cependant très bien servies en France et nous avons accès à des rôles très complexes. Cette dichotomie indique peut-être que nous tenons trop de choses pour acquises dans le milieu du cinéma. C'est peut-être aussi parce qu'on se sent moins opprimées qu'ailleurs. Cela dit, la société française en général est encore teintée de machisme. Ça, c'est indéniable.

Anne Fontaine, réalisatrice (Les innocentes, Marvin ou la belle éducation)

Les réalisatrices étant maintenant plus nombreuses, comment voyez-vous cette avancée?

Quand j'ai commencé, il y a maintenant 15 ans, un certain mouvement s'est installé, dont j'ai fait partie avec des réalisatrices comme Noémie Lvovsky, Catherine Corsini, d'autres aussi. Je ne me suis jamais sentie isolée. Aujourd'hui, on compte de plus en plus de réalisatrices et cela me ravit. À moins que je ne me trompe, cette situation reste exceptionnellement française, étonnamment. Nous avons la chance d'avoir un cinéma bien soutenu par l'État. Je n'ai en tout cas jamais souffert de la stigmatisation des films de femmes et je n'ai jamais senti de condescendance non plus. En même temps, la situation reste un peu ambiguë, car on trouve quand même partout un fond de misogynie. On ne compte pas beaucoup de femmes techniciennes non plus!

Marina Foïs, actrice, (Polisse, L'atelier)

En tant qu'actrice, ressentez-vous le dynamisme qu'apportent les réalisatrices, désormais plus nombreuses à tourner des films? 

J'ai vu récemment Les habitants, un documentaire de Raymond Depardon, qui, à mon avis, est un grand film féministe. Il était fascinant de constater à quel point les hommes qui se racontaient dans ce film étaient factuels dans leur discours, alors qu'on voyait les femmes penser et rêver leur vie. Donc, cela n'est pas étonnant du tout qu'elles s'adonnent davantage à la réalisation, car avec elles, beaucoup de choses sont possibles. La société bouge, elles vont prendre de plus en plus la place qui leur revient. Je hais les généralités, mais je crois que les femmes ont en elles de très grandes capacités pour la fiction. Il est tout à fait logique qu'elles écrivent des scénarios et qu'elles deviennent réalisatrices.

Léonor Serraille, réalisatrice (Jeune femme)

Est-ce encore plus difficile pour une femme de faire sa marque dans le milieu du cinéma?

Il y a maintenant plusieurs femmes qui travaillent dans le milieu du cinéma en France, mais elles doivent toujours se battre plus que les hommes, car ce sont encore les hommes qui décident du financement des films. Cela dit, on ne traîne pas cette condition comme un boulet du tout. Plus nous serons nombreuses dans ce milieu, plus nous deviendrons visibles. Je crois que le vent est favorable en ce moment.

Photo fournie par Unifrance

Marina Foïs

Karin Viard, actrice (La famille Bélier, Jalouse)

Avez-vous ressenti l'arrivée de réalisatrices plus nombreuses au cours des dernières années comme un mouvement, une vague de fond?

Les femmes prennent de plus en plus leur place dans le domaine de la réalisation et cela me réjouit. Parce qu'elles amènent forcément un autre regard sur les choses. Cela dit, à titre d'actrice, je ne saurais dire. Au-delà du genre, je dois surtout m'adapter à la personnalité de la personne qui réalise. Pour Jalouse, j'ai pu engager une vraie discussion avec les frères Foenkinos. C'était d'autant plus agréable parce qu'avec deux interlocuteurs, le dialogue peut avoir lieu, même si eux ne partagent pas toujours la même idée!

Émilie Deleuze, réalisatrice (Peau neuve, Jamais contente)

Vous faites du cinéma depuis un bon moment, mais plusieurs années de distance séparent vos films. Quelle est votre observation principale?

C'est une chance d'être cinéaste en France, car l'État soutient encore très bien son cinéma. Il est vrai que les réalisatrices sont plus nombreuses, mais elles travaillent habituellement avec de plus petits budgets. Dès l'instant où les budgets deviennent plus importants, il n'en reste alors plus qu'une ou deux. Mais bon, ça va venir. Forcément, ça va venir. Mais c'est long. Cette vérité s'applique d'ailleurs à l'ensemble du monde. À part Kathryn Bigelow et quelques autres, vraiment très rares, les femmes n'ont pas accès à des films dotés de gros budgets.

Photo fournie par Axia Films

Karin Viard dans Jalouse, un film de David et de Stéphane Foenkinos

Marine Vacth, actrice (L'amant double, La confession)

Que vous inspire l'arrivée de réalisatrices, désormais plus nombreuses?

Personnellement, je ne fais pas de différence. Chaque cinéaste apporte sa vision. Je ne pense pas en fonction du genre et je ne crois pas qu'il existe un cinéma féminin ou masculin.Serge Toubiana, président d'Unifrance

Avez-vous le sentiment que, grâce aux réalisatrices, un véritable renouveau est en train de marquer le cinéma français?

Le renouveau du cinéma français passe beaucoup par la présence des réalisatrices. Je le crois sincèrement. Elles apportent une inspiration nouvelle, une sensibilité différente, une liberté autre. Je trouve ce mouvement d'autant plus épatant que j'ai eu la chance de l'accompagner au moment où j'ai présidé l'Avance sur recettes** en 2014 et 2015. La qualité des projets soumis par des femmes était remarquable, et s'inscrivait aussi dans des genres plus inusités. Julia Ducournau a dû soumettre Grave trois fois, mais nous l'avons soutenue. Il reste toutefois encore du chemin à faire. On aura gagné quand on n'en fera plus la remarque et qu'on cessera de dire «un film de femme». J'ai confiance qu'on y arrivera bientôt en France.

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* Source: Centre national de la cinématographie (CNC)-Films agréés

** L'avance sur recettes est une aide financière attribuée par le Centre national de la cinématographie (CNC) et de l'image animée à des prpjets de longs métrages.

Quelques statistiques

> 27 %: Sur les 300 longs métrages produits en France en 2017, 70 ont été réalisés par des femmes, et 11 furent coréalisés par des femmes.

> 39 %: Films réalisés par des femmes qui signaient leur troisième long métrage (ou plus)

> 5,38 millions: Budget moyen (en dollars canadiens) des films réalisés par des femmes en France

> 8,54 millions: Budget moyen (en dollars canadiens) des films réalisés par des hommes en France

> 31 %: Moyenne des projets déposés par les femmes, acceptés par les institutions (comparativement à 25 % en 2016)** 

** Source: Centre national de la cinématographie (CNC)-Films agréés

Photo fournie par Unifrance

Marine Vacth