Qu'ont en commun une Chinoise née à Pékin qui a abandonné les sciences politiques pour le cinéma et un cowboy amateur de rodéo du Dakota du Sud? En apparence rien. En réalité, comme nous le montre le magnifique film The Rider, gagnant du prix Art Cinéma de la Quinzaine de Cannes et du Grand Prix du Festival de Deauville, la réalisatrice Chloé Zhao et le sujet de son docufiction, Brady Jandreau, ont plus de choses en commun qu'on le pense, en commençant par une même quête identitaire.

Chez Chloé Zhao, 35 ans, cette quête identitaire s'est manifestée lorsque son départ de Pékin pour Londres, puis pour New York, l'a obligée à se redéfinir. Chez Brady Jandreau, un authentique cowboy dans la vingtaine, moitié Sioux Lakota et moitié Canadien français, le questionnement sur son identité est survenu à la suite d'un grave accident de rodéo, au cours duquel un cheval l'a piétiné et a pratiquement réduit son crâne en bouillie.

Or, jusqu'à l'accident, Brady ne vivait que pour le rodéo et ne se définissait que par celui-ci. Du jour au lendemain, il a été obligé de renoncer à sa raison d'être, à son gagne-pain et à un certain rêve. C'est tout cela que documente The Rider, tourné comme une pure fiction même si tous les protagonistes jouent leur propre rôle et le jouent avec la maîtrise de vrais acteurs. Comment la réalisatrice a-t-elle réussi ce tour de force?

«Pour arriver à ce résultat, je crois qu'il faut bien connaître les gens. Or, moi, ça faisait deux ans que je fréquentais Brady et ses amis. La confiance s'était installée entre nous», m'a répondu Chloé Zhao à Toronto en septembre dernier.

Ce sont des études en politique et sur les questions raciales aux États-Unis qui ont conduit la réalisatrice de 35 ans dans les réserves du Dakota du Sud. Elle y a tourné un premier film (Songs My Brother Taught Me), produit par l'acteur Forest Whitaker.

«J'avais envie d'explorer ceux qu'on appelle les Indian cowboys et qui, malgré l'apparente contradiction, sont une réalité.»

«En dépit d'un très lourd et violent passé, les cowboys et les Indiens ont trouvé non seulement une façon de coexister, mais de se métisser et d'intégrer leurs cultures respectives. C'est une leçon pour nous tous.»

Après son premier film, la réalisatrice a voulu poursuivre son exploration des réserves indiennes. «Je me suis mise à chercher un autre sujet de film. J'écrivais, mais ça ne menait à rien. J'ai failli tout abandonner. Puis l'accident de Brady est arrivé en avril 2016. Il a failli mourir, mais quand j'ai vu qu'à peine six semaines après, il était remonté à cheval, je me suis dit que je tenais le sujet de mon film. Le tournage a débuté quatre mois plus tard.»

Question universelle

Le sujet du film, ce n'est pas tant ce jeune cowboy blessé, qui dans les faits est un authentique «Indian cowboy». Le vrai sujet du film, c'est qu'est-ce qui se passe lorsque ce qui nous définit depuis toujours n'est plus possible? C'est une question universelle qui touche autant le danseur qui ne peut plus danser, le coureur automobile qui ne peut plus courir que les gens à l'aube de leur retraite.

Aussi, bien que le rodéo ait failli le paralyser à vie ou même le tuer, Brady Jandreau a eu toute la misère du monde à en faire son deuil et à renoncer à l'adrénaline folle qu'il y vivait chaque fin de semaine.

«Je m'en ennuie encore. C'est pour ça que j'évite d'aller voir des rodéos. C'est trop dur émotionnellement», a avoué le cowboy descendu lui aussi à Toronto et qui se retrouvait pour la première fois de sa vie en «pays étranger».

«Avant de tourner ce film, je n'avais pas pris un avion depuis 10 ans et je n'étais jamais sorti des États-Unis. Et pour tout dire, même si le film porte sur un passage douloureux de ma vie dont je ne suis pas encore complètement remis, ma vie a changé pour le mieux.» 

«J'entraîne encore des chevaux sauvages, ce qui est ma passion première, et je ne gaspille plus mon argent dans les rodéos où il faut payer pour s'inscrire et où l'on perd tout son argent à moins de gagner la compétition, ce qui n'est jamais assuré.»

Ce qui est fascinant avec The Rider, c'est que, hormis la beauté des couchers de soleil éblouissants filmés avec poésie, Chloé Zhao ne nous offre pas une vision romantique et cliché des cowboys du Dakota. Ce qu'elle nous montre clairement, c'est que la vie dans ce monde en voie de disparition, où le cheval est encore roi, n'est pas douce. Alcool, pauvreté, dépendance, les maux des grandes villes se fraient facilement un chemin à travers les plaines et dans des réserves abandonnées à elles-mêmes.

Pressenti pour la course aux Oscars, The Rider ne s'est pas rendu cette année, mais avec sa sortie ce printemps aux États-Unis et chez nous, les choses pourraient changer. En attendant, Chloé Zhao est retournée vivre à Denver, où elle planche sur un film sur le premier Marshall adjoint noir des États-Unis. Brady, lui, est retourné auprès de ses chevaux sauvages qui représentent, selon lui, la partie la plus folle et la plus libre de sa vie et la preuve que même en perdant une part importante de ce qui nous définit, tout n'est pas perdu. 

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The Rider (Le cowboy) est à l'affiche.

Photo Taylor Jewell, archives Associated Press

La réalisatrice Chloé Zhao