En s'inspirant du livre d'Anne Wiazemsky, compagne de Jean-Luc Godard au moment du tournage de La Chinoise et des événements de mai 1968, le réalisateur de The Artist évoque une époque charnière dans la vie d'un cinéaste dont les films se radicaliseront alors davantage. Le redoutable met en vedette Louis Garrel, Stacy Martin et Bérénice Bejo. Entrevue avec Michel Hazanavicius.

Vous avez souvent déclaré que Le redoutable n'était pas un film sur Godard, mais Louis Garrel, qui l'incarne dans votre long métrage, est quand même de tous les plans ou presque...

Bien sûr, il est là. Mais à travers ce personnage, plein de thèmes peuvent être explorés. Je trouvais l'exercice amusant, d'autant que le livre d'Anne Wiazemsky permettait cette ouverture. On évoque la radicalisation politique, le dogmatisme intellectuel, le paradoxe des révolutionnaires qui ont quand même mené un mode de vie bourgeois. L'amour aussi. Godard est un personnage qui pense différemment des autres et se trouve toujours en décalage - et en conflit - avec son environnement.

Quel est votre rapport avec le cinéma de Godard?

Il est très compliqué d'avoir un rapport simple avec les films de Godard. En tant que spectateur, on fait parfois l'erreur de l'inscrire dans le champ du cinéma normal. Or, cela n'est pas le cas. Qu'il dise lui-même, en tant que créateur, qu'il fait du cinéma, c'est très bien, c'est intéressant, et ça évoque tout l'intérêt de sa démarche, qui vise à décaler le langage du cinéma. Mais à mon sens, son approche relève davantage de l'art contemporain. Et puis, je souhaitais m'amuser aussi un peu de cette révérence dont il fait l'objet, parfois par des critiques qui, au nom de l'amour du cinéma, aiment très peu de films. Ils en deviennent plus cinéphobes que cinéphiles, à vrai dire!

Le Godard que vous présentez dans votre film n'est pas particulièrement sympathique...

Mais il ne cherche jamais à l'être dans la vie non plus! Ça aurait été le trahir que d'en faire un mec sympa. Dans sa forme, le film constitue quand même un hommage constant au cinéma. J'aime l'esthétique de cette époque, un peu prédominante, née des contraintes, moins uniforme qu'aujourd'hui. Et puis, le cinéma était alors au coeur des débats sociaux. Chaque représentation était un événement. Aujourd'hui, la profusion a fait que le côté sacré d'une séance est disparu.

Louis Garrel est probablement l'acteur contemporain qui évoque le mieux cette époque au cinéma, notamment grâce à The Dreamers et aux Amants réguliers. Il est aussi un grand admirateur de Godard. Comment avez-vous pu concilier vos deux visions?

Louis tenait à ce que le film plaise aux admirateurs de Godard. De mon côté, je souhaitais aussi attirer ceux qui ne sont pas dans cette admiration, ou qui sont même totalement indifférents. J'ai écrit les dialogues avec la musique de Godard en tête, son phrasé, sa façon particulière de construire les phrases. L'imitation rebutait complètement Louis, mais j'estimais qu'il en fallait quand même un peu. Nous avons négocié longtemps à propos de cette approche, mais quand il a intégré la notion de musique, Louis a trouvé le juste dosage. Il ne tombe jamais dans la caricature et fait ressortir l'humanité du personnage.

Avez-vous tenté d'obtenir l'accord de Godard avant de vous lancer dans le tournage du film?

Je lui ai fait parvenir le scénario, accompagné d'une lettre, mais, fidèle à sa réputation, il ne m'a jamais répondu. Il n'a été impliqué d'aucune façon dans ce film, et je crois qu'il ne souhaite pas le voir non plus. 

Anne Wiazemsky, auteure d'Un an après, le livre dont vous vous êtes inspiré pour écrire le scénario, s'est éteinte il y a quelques mois. A-t-elle eu l'occasion de voir votre film?

Anne fut l'une des toutes premières spectatrices du film. Elle a tellement apprécié ce portrait de Godard qu'elle a revu le film trois fois! Sa disparition m'a rendu très triste, mais je suis heureux que nous ayons eu l'occasion de nous croiser. Elle m'a fait confiance après avoir refusé beaucoup d'offres, sur la foi d'une observation que je lui ai faite en tentant de la convaincre. Quand je lui ai dit que j'avais trouvé son livre drôle, elle m'a répondu qu'elle le trouvait drôle aussi, mais que personne ne lui en avait fait la remarque jusque-là.

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Le redoutable prendra l'affiche le 11 mai.

image fournie par MK2 | Mile End

Louis Garrel dans Le redoutable, film de Michel Hazanavicius