Si beaucoup de nouvelles boîtes de distribution ont ouvert au cours des dernières années, leurs dirigeants, sauf exception, sont pour la majorité des gens qui possèdent une expérience de plusieurs années dans le domaine. La Presse a rencontré six d'entre eux.

À chaque film sa façon de faire

Au cours des cinq dernières années, plusieurs maisons de distribution ont vu le jour au Québec. À leur tête, en majorité, on trouve des dirigeants d'expérience... qui veulent changer les façons de faire.

Le 18 décembre 2017, la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) annonçait sa participation financière à la production de 11 longs métrages québécois, dont 7 distribués par la jeune Maison 4:3 fondée par Chantale Pagé.

Sa vie a-t-elle changé ce jour-là ?

L'intéressée éclate de rire. « Je savais avoir obtenu l'aval pour quatre projets avant d'apprendre l'ajout de trois autres. À quatre, j'étais très contente. À sept, je sautais partout. »

Avec d'autres entreprises, 4:3 (lire Quatre tiers) fait partie des nouveaux distributeurs de films fondés au cours des dernières années au Québec. Ces nouveaux acteurs indiquent avoir lancé leur boîte par souci d'apporter une pluralité des voix et par besoin de créer de nouvelles façons de faire. Et ce, même s'ils s'engagent dans une sphère où quotidien est synonyme de précarité.

« Encore aujourd'hui, il y a un joueur majeur [Films Séville] et beaucoup de petits. Je compte occuper la place entre les deux, dit Tim Ringuette, patron d'Entract Films. Je veux apporter de la diversité et une alternative. Une industrie qui compte plusieurs joueurs est une industrie en santé. »

Comme ses homologues, M. Ringuette constate que chaque film est différent et a un public différent. Face à cela, et en raison de la vague numérique, les distributeurs doivent déterminer le public cible et le rejoindre.

« Le modèle québécois de distribution est archaïque. On n'a pas d'approche personnalisée. On a un modèle qui s'applique autant au film commercial qu'au film d'auteur », déplore Jean-Christophe J. Lamontagne, cofondateur de h264, entreprise vouée aux courts métrages.

Chantale Pagé affirme qu'il faut réfléchir à ce qui « est le mieux » pour un film. « Chaque film est différent alors chaque film a un "mieux" différent. »

Ainsi, pour le long métrage Les faux tatouages de Pascal Plante, les gens de 4:3 ont posé des affiches dans des salons de tatouage. Chez MK2 | Mile End, on a acheté de la publicité dans le Prions en église pour annoncer le long métrage français La confession.

Fondatrice de la maison de production La boîte à Fanny, Fanny-Laure Malo distribue quant à elle ses courts métrages. « Ça ne me coûte pas moins cher. C'est une question de logique. On accompagne les cinéastes, on crée une famille. »

Plus de salles...

Certains souhaitent qu'une hausse du nombre d'acteurs dans la distribution se traduise par une augmentation du nombre de salles.

« Mon film Chorus est sorti au moment où l'Excentris fermait, constate François Delisle, fondateur de Fragments. Ce que j'espère, c'est que d'autres salles ouvrent. On a eu un désert, qui recommence à se regarnir, chez les distributeurs. Qu'il en soit de même avec les salles ! »

À ce chapitre, l'arrivée d'une succursale de MK2 au Québec a créé des attentes. Plusieurs ont cru que cette société achèterait l'Excentris. Cela ne s'est pas concrétisé. Mais il reste, foi de Charles Tremblay, qu'il faut de nouvelles salles.

« Si la fréquentation des salles est en baisse, ce n'est pas parce que les gens aiment moins le cinéma. C'est parce que l'offre n'est pas alléchante. »

...et plus d'aide financière

L'autre nerf de la guerre, c'est l'argent. Les distributeurs apprécient l'aide de Téléfilm et de la SODEC, mais certains aimeraient qu'elle soit bonifiée.

« Si on veut vitaliser une industrie, il faut encourager les joueurs », dit Tim Ringuette. « On nous épaule, mais s'il y avait un petit bonus dans l'aide au roulement, on ne vivrait pas le stress de se demander comment on va être payé à la fin du mois », soulève Serge Abiaad, de La distributrice de films.

« C'est difficile, la distribution, aujourd'hui, dit Charles Tremblay. Beaucoup de sources de revenus se sont taries ou ont été réduites. On ne demande pas un chèque en blanc. Mais il devrait y avoir une aide structurelle au lieu de ponctuelle. »

« Si les choses continuent comme elles sont, les plus petits distributeurs sont confrontés à un avenir très incertain. »

À la SODEC, on nous dit que le niveau d'aide à la distribution, entre 700 000 $ et 800 000 $ par an, est stable. Mais les dirigeants sont sensibles à la nouvelle réalité et « persuadés » qu'il faut plus d'argent.

« Il y a nécessité de s'adapter aux changements que vivent les distributeurs et les exploitants de salles de cinéma, et de développer des pratiques plus innovantes et structurantes pour la visibilité des films québécois », nous écrit Johanne Morissette, directrice des communications de la SODEC.

Par conséquent, ajoute-t-elle, la SODEC fait des démarches auprès du ministre de la Culture et des Communications, qui décide du niveau de crédits, dans le but de faire « augmenter de façon substantielle » les sommes allouées.

Elle ajoute aussi que depuis 2016, la SODEC a organisé trois ateliers (SODEC_LAB Distribution 360) pour « encourager les nouvelles pratiques en distribution » et que des programmes permettent aux jeunes producteurs et distributeurs d'accompagner leurs films à l'étranger.

Entract, Tim Ringuette

Tim Ringuette n'est pas peu fier. Un an après le lancement de son entreprise, Entract, il avait distribué 29 films au Québec.

« On s'est imposés comme le deuxième distributeur indépendant après Séville, soutient-il. C'est mission accomplie pour une première année. »

MoonlightLady BirdThe Florida Project font partie du catalogue. En cinéma québécois, Entract est derrière la distribution canadienne des Scènes fortuites de Guillaume Lambert.

M. Ringuette n'est pas parti de zéro. Autrefois chez Remstar, il a convaincu le patron de cette maison, Maxime Rémillard, d'être actionnaire minoritaire d'Entract qui... représente le catalogue de Remstar au Québec. L'entreprise a aussi une entente de sous-distribution pour les films de l'entreprise canadienne Elevation Pictures. « J'ai le privilège d'avoir des ententes avec deux partenaires essentiels. Ces partenariats solidifient notre modèle d'entreprise », dit M. Ringuette.

Très inspiré par le travail de la maison américaine A24 et insistant pour qualifier ses films de « porteurs de qualité », M. Ringuette désire adapter chaque sortie des films en fonction de leurs caractéristiques. Ainsi, Les scènes fortuites a été lancé dans deux salles à Montréal et Québec avant d'aller ailleurs au Québec.

« Pour ce film, nous avons adapté à la sauce québécoise la stratégie appliquée à certains films indépendants américains. Et cela a fonctionné ! Au Beaubien, Les scènes fortuites a eu le meilleur lancement depuis le dernier Xavier Dolan. Nous n'aurions pas eu ce succès en ouvrant dans huit salles d'un seul coup. »

Il espère continuer à lancer une trentaine de films par année avec, dans l'idéal, de trois à six oeuvres québécoises.

Photo Olivier PontBriand, La Presse

Tim Ringuette

h264, Jean-Christophe J. Lamontagne

En mars 2015, Jean-Christophe J. Lamontagne arrive au festival de courts métrages Regard (Saguenay) avec un de ses films sous le bras et l'idée de fonder une boîte de distribution consacrée uniquement au court. Quelques jours plus tard, un ami cinéaste et lui repartent de Regard avec de nombreuses propositions de films à distribuer. La maison h264 est fondée dans les semaines suivantes.

Ouvrir une maison uniquement consacrée au court est un pari plus risqué et M. Lamontagne en est conscient. « Nous sommes dans un marché où il y a de moins en moins d'acheteurs et où les cachets sont coupés, dit-il. Mon modèle d'affaires n'est pas viable. C'est pour cela que je me tourne vers le numérique [h264 est un format d'encodage numérique] et des modèles alternatifs. »

Ainsi, l'entreprise a lancé Plein écran, un festival de courts métrages à voir sur Facebook.

« Si on n'avait pas Plein écran qui nous permet d'aller chercher des sous, notre situation serait très difficile », dit le jeune distributeur de 28 ans qui dirige h264 avec deux partenaires, Vincent B. Deslauriers et Lina Kachani.

L'équipe a déjà plus d'une vingtaine de films distribués au compteur, dont le plus récent, Fauve de Jérémy Comte, a été présenté à Sundance où il a remporté un prix.

« En termes de ligne éditoriale, nous prenons seulement les films qui nous font vibrer, qui entrent dans nos tripes. Des films pour lesquels on est passionnés », dit M. Lamontagne qui souhaite « accompagner les créateurs » dès le début de leurs projets.

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Jean-Christophe J. Lamontagne

MK2 | Mile End, Charles Tremblay

Il a d'abord fondé Métropole Films avant de partir pour lancer MK2 | Mile End associé à la société française de production, de distribution et d'exploitation de salles MK2.

« On ne distribuera pas des films qu'on n'aime pas, mais on va considérer ceux qui, sans être des coups de coeur, sont de grande qualité », dit Charles Tremblay qui a fondé l'entreprise en janvier 2017.

Chez lui, l'occasion de lancer une maison de distribution est liée étroitement au projet d'une exploitation de nouvelles salles au Québec et ailleurs en Amérique.

« Il y a clairement une occasion en ce qui concerne la distribution, en termes d'espace, dans le marché, surtout pour ce qu'on veut faire, dit M. Tremblay. Mais c'est aussi le cas dans le milieu de l'exploitation de salles. La combinaison de ces deux éléments a fait en sorte que notre association [avec Nathanaël Karmitz de MK2 France] s'est faite assez naturellement. »

La première année, MK2 | Mile End a distribué 19 films, surtout français. Dans l'avenir, la maison veut s'ouvrir aux films en langue étrangère et anglophones. La porte est grande ouverte au cinéma québécois.

D'ailleurs, MK2 est associée aux projets de films de Louise Archambault (Il pleuvait des oiseaux), Rafaël Ouellet (Arsenault et fils), Lyne Charlebois (Cours toujours avec Marc Messier et Hélène Florent), Sébastien Pilote (Maria Chapdelaine) et Christian Duguay (Magasin général).

« J'espère que le quart, voire le tiers, de nos sorties annuelles seront des films québécois », dit M. Tremblay.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Ariane Giroux-Dallaire et Charles Tremblay

Fragments, François Delisle

Le cinéaste François Delisle (Chorus) était déjà à la tête d'une maison de production, Films 53/12, quand il a décidé de se faire distributeur avec Fragments lancé en 2017. Au passage, il a racheté les droits de ses anciens films.

Pourquoi cette intégration verticale ? « Au moment de sortir Chorus, j'étais pris entre une attachée de presse à Berlin, une autre à Los Angeles et une troisième à Montréal. Le distributeur n'était pas au courant de ça. Ça n'avait pas d'allure qu'il soit complètement déconnecté. Comme producteur, je me suis retrouvé à faire tout le matériel de promotion que je lui léguais. Il était temps que je prenne possession de tous les moyens que j'initiais pour un film. »

Outre les films de M. Delisle, Fragments distribuera L'acrobate, prochain long métrage de Rodrigue Jean (Full Blast).

« Nous sommes en négociation pour l'acquisition de plusieurs autres films, dit M. Delisle. On veut des oeuvres locales et internationales. »

Il souhaite que les oeuvres soient visibles tôt dans chaque processus de création. Ainsi, pour Cash Nexus qu'il réalise et lancera en 2019, il a déjà orchestré une campagne de sociofinancement en ligne.

« Nous avons mené cette campagne davantage pour créer un engouement public que pour amasser de l'argent, dit-il. Nous avons amassé 6000 $ sur un objectif de 10 000 $, mais il y a eu impact. Un distributeur bien connu m'a dit ne pas pouvoir faire cela, que ça demande trop d'énergie. Nous, on l'a fait et on compte s'engager dans cette voix pour d'autres films. »

Photo Olivier Pontbriand, La Presse

François Delisle et son associée.

La distributrice de films, Serge Abiaad

Fondée en 2012, La distributrice de films est la doyenne des six entreprises sondées pour ce reportage. « Mais notre premier long métrage de fiction, Nouvelle, nouvelle d'Olivier Godin, est sorti en 2015 », souligne le dirigeant Serge Abiaad qui a repris les rênes des deux fondateurs Laurent Allaire et Daniel Karolewicz.

La maison touche à tout : courts, longs, documentaires, films québécois et internationaux. C'est elle qui distribue Ta peau si lisse, le plus récent opus de Denis Côté.

« Ma ligne éditoriale est de travailler avec des cinéastes qui explorent un certain territoire cinématographique, dit M. Abiaad. Nous ne sommes pas dans un cinéma de québécitude en ce sens que nous nous intéressons avant tout à des cinéastes dont la signature ne va pas du premier coup être associée au cinéma québécois. »

Issu du monde de l'enseignement, Serge Abiaad se définit davantage comme un collaborateur avec les cinéastes. « Je travaille avec des gens que j'apprends à connaître et que j'intègre dans le processus de distribution », indique-t-il. Intégrer dans le sens qu'il demande aux cinéastes dont il distribue les films d'être très actifs au moment de la mise en marché, que ce soit par leur présence sur les réseaux sociaux, en accompagnant leurs films en projection, etc.

Au moment de lui parler, M. Abiaad quittait Montréal pour le festival des courts métrages de Clermont-Ferrand, en France, où il présentait cinq oeuvres de son catalogue, dont Photo jaunie de Fanny Pelletier, en compétition officielle.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Serge Abiaad

Maison 4:3, Chantale Pagé

Petite, Chantale Pagé est tombée dans la marmite du cinéma. Son grand-père possédait des salles au Lac-Saint-Jean. Son oncle, Guy Gagnon, est exploitant de salles. « Je me faisais garder dans des salles avec mon pop corn. »

Mme Pagé a longtemps travaillé aux Films Séville. Lorsqu'elle est partie, c'était avec le désir de faire de la production. « Mais j'avais l'idée de faire un peu de distribution pour manger », dit-elle. Or, la distribution a rattrapé Chantale Pagé.

« Distribuer, c'est diffuser l'art, diffuser l'oeuvre, dit-elle. C'est rendre disponible la vision d'un créateur au plus grand nombre possible de gens à qui est destinée cette oeuvre. Car chaque oeuvre a son public. »

La nouvelle distributrice ira chercher ce public par la main. Une de ses premières acquisitions, le documentaire environnemental Demain, de la comédienne française Mélanie Laurent et de Cyril Dion, en est un bon exemple.

« Nous avons appelé les groupes environnementaux pour leur expliquer l'importance de ce film. Nous l'avons montré avant sa sortie en salle à plusieurs dirigeants. Ils ont développé un sentiment d'appartenance à l'oeuvre. »

Résultat : Demain a fait 500 000 $ au box-office. Pour un documentaire, c'est exceptionnel au Québec.

Le Québec est au coeur du futur catalogue de 4:3. Aux sept projets de films dont le financement a été annoncé par la SODEC en décembre s'ajoutent trois autres films déjà en chantier, et Les faux tatouages de Pascal Plante est sorti en salle vendredi.

« J'aime beaucoup les premiers et deuxièmes films, dit Mme Pagé. L'accueil réservé au premier film d'un auteur est toujours important pour la suite des choses. »

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Chantal Pagé