Dans ce sixième long métrage à titre de réalisateur, Gaël Morel rend hommage au milieu ouvrier, rarement montré au cinéma français. Prendre le large est aussi le portrait d'une femme, campée par Sandrine Bonnaire, qui a besoin d'aller voir ailleurs si elle y est.

Aux yeux des cinéphiles québécois, le nom de Gaël Morel est encore très associé au film Les roseaux sauvages. Il y a maintenant près de 25 ans, le jeune homme tenait l'un des rôles principaux du superbe long métrage d'André Téchiné auprès d'Élodie Bouchez et de Stéphane Rideau. Il se trouve que, depuis, Gaël Morel s'est essentiellement consacré à une carrière de cinéaste en écrivant et en réalisant des films qui se sont rarement rendus jusqu'à nous, hormis, parfois, des présentations dans le cadre de différents festivals.

Prendre le large aborde de front un phénomène social - la délocalisation des entreprises vers des pays où la main-d'oeuvre est moins chère - à travers l'histoire d'une modeste ouvrière qui, à la surprise de tous, accepte l'emploi que son employeur lui offre au Maroc, même si les conditions de travail sont beaucoup moins avantageuses. Ce film est né d'une indignation qu'a ressentie le cinéaste envers les politiques des anciennes administrations françaises, notamment celle dirigée par François Hollande.

«Jusqu'à moi, nous sommes tous des ouvriers de génération en génération dans ma famille», a expliqué le cinéaste au cours d'un entretien accordé à La Presse à Paris. 

«J'ai voulu rendre hommage aux miens, car en plus de cette envie de revenir à mes origines, j'estime que la classe ouvrière - qui a été complètement mise sur le carreau à cause des politiques des gouvernements - est rarement représentée dans le cinéma français.»

L'un des éléments du récit s'attarde à évoquer le petit racisme ordinaire en inversant les rôles. Édith (Sandrine Bonnaire), une femme française à la mi-quarantaine, se retrouve à devoir repartir à zéro à Tanger, dans une usine mal entretenue et mal sécurisée. Surtout, elle doit affronter le regard de ceux qui ne voient en elle qu'une étrangère blanche forcément opportuniste. Personne ne lui fait de cadeau.

«Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la venue des migrants est vécue comme un problème en France, fait remarquer Gaël Morel. Il en découle une forme de rejet. Le racisme s'est développé au quotidien et il est devenu presque accepté. C'est comme si l'on ne pouvait plus en percevoir la violence parce qu'on s'y est horriblement habitués. Voilà pourquoi j'ai voulu montrer un personnage qui nous ressemble, qui subit quand même moins de violence parce qu'il n'est pas menacé d'expulsion, mais qui est en proie à la bêtise et au même genre de suspicion. Quand cette personne s'incarne en une figure populaire comme Sandrine Bonnaire, ça donne un peu à voir la violence de ce comportement.»

L'amour des actrices

Gaël Morel ne compte aucun souvenir personnel sans cinéma. Cet amour du septième art, développé très jeune, est principalement passé par son amour des actrices, Catherine Deneuve en tête. Il éprouve aussi un amour éperdu pour Béatrice Dalle depuis 37,2 le matin, ainsi que pour Sandrine Bonnaire depuis À nos amours. Aussi a-t-il voulu écrire des films expressément pour ses actrices de prédilection. Après la vie, avec Catherine Deneuve, a été tourné il y a 10 ans. Notre paradis, avec Béatrice Dalle, quatre ans plus tard. Le cinéaste boucle cette fois la boucle avec Sandrine Bonnaire en créant un film spécialement pour elle, même si l'actrice n'en savait rien au moment de l'écriture.

«Sandrine fait partie de ces acteurs et actrices qui génèrent des personnages. Avec Rachid O., qui cosigne le scénario avec moi, on a écrit en pensant à elle et grâce à elle. Quand je lui ai envoyé le scénario, j'étais dans un état de terreur totale. Si Sandrine l'avait refusé, mon désir de faire le film aurait pratiquement été anéanti. J'aime l'idée du risque et de l'excitation. Travailler avec ces trois actrices fut au-delà de mes espérances. On ne peut pas être une actrice exceptionnelle sans être déjà une femme exceptionnelle au départ. Elles portent le monde en elles.»

Un soutien indéfectible à Deneuve

Puisque son admiration pour Catherine Deneuve est à l'origine de son intérêt envers le cinéma, Gaël Morel s'est exprimé sur la récente polémique dans laquelle a été impliquée l'interprète de Belle de jour. Rappelons que Catherine Deneuve a été l'une des 100 signataires d'une tribune très controversée, publiée dans Le Monde, dans laquelle des personnalités féminines allaient à contre-courant du mouvement #metoo.

«Sincèrement, tout cela me désole, dit-il. Catherine est une femme libre, courageuse. Elle milite tellement pour que les gens s'affranchissent que je ne peux même pas concevoir qu'on ait pu lire cette tribune autrement. D'ailleurs, ces propos n'étaient pas les siens et elle s'en est désolidarisée. Après, je trouve qu'on est plongés dans une époque parfois idiote. Les gens s'empressent de brûler des figures qui font autorité dès qu'ils en ont le prétexte. Peut-être cette tribune était-elle maladroite, j'en conviens, mais je préférerai toujours une liberté maladroite à une injonction de la bien-pensance. Voilà.»

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Prendre le large prendra l'affiche le 9 février.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.