Dans son bouleversant documentaire Double peine, Léa Pool donne la parole à des enfants dont les mères sont incarcérées, au Népal, en Bolivie, aux États-Unis et au Québec. Comment éviter que la punition de la mère ne devienne aussi une punition pour l'enfant ? Ce documentaire remet sérieusement en question un système qui ne doit pas rompre le lien affectif le plus puissant dans la vie d'un être humain.

Dans une scène déchirante de Double peine, une très jeune mère derrière les barreaux d'une prison népalaise fait face à un dilemme cornélien. On lui demande de signer des papiers pour que son enfant, qui a grandi avec elle en prison, puisse être confié à une maison spécialisée où il pourra recevoir une instruction et avoir une vie plus normale pendant qu'elle purgera sa peine. 

« Cette scène-là m'a complètement arraché le coeur, confie la réalisatrice Léa Pool. La seule raison de survivre en prison pour ces femmes est souvent d'avoir leur enfant avec elles. En même temps, elles ne sont pas suffisamment égoïstes pour ne pas leur donner une chance de s'en sortir. C'est un choix presque impossible. »

Cette scène montre aussi la complexité de la situation des femmes emprisonnées. Beaucoup sont elles-mêmes victimes dans le système judiciaire. Beaucoup sont chefs de famille monoparentale. Et à leur punition s'ajoute la culpabilité de ne pas pouvoir tenir leur rôle de mère. Double peine pourrait même s'intituler Triple peine, puisque si les femmes souffrent doublement, leurs enfants souffrent aussi, quand bien même ils sont innocents des crimes de leurs parents. 

« C'est une situation qu'un homme vit beaucoup moins, croit Léa Pool. Je ne dis pas que ça n'existe pas, mais il y a quand même des chiffres qui prouvent que les femmes vont voir leurs maris en prison, qu'elles restent comme un pilier, alors que l'inverse n'est pas toujours vrai. » 

L'ÉTRANGE MAISON

Léa Pool, dont on connaît bien les thèmes de prédilection, en fiction ou en documentaire, qui tournent tous autour des êtres les plus fragilisés de nos sociétés, est passée par des organismes venant en aide aux femmes incarcérées pour trouver les familles qui ont accepté de témoigner à visage découvert. 

« Ces organismes ont la confiance des mères, des pénitenciers et des enfants, note-t-elle. Beaucoup de ces femmes étaient prêtes à montrer leur visage, j'étais extrêmement touchée. Il y avait une sorte de solidarité, de New York au Népal, à parler. Un peu comme les histoires de dénonciations d'agressions en ce moment. Elles se rendent compte que parler ensemble, ça peut aider. Une femme seule a peur d'être montrée du doigt. »

« C'était une bonne approche de passer par les organismes, d'autant que je voulais montrer l'espoir, les choses qu'on peut faire. Je voulais éviter le misérabilisme. » 

- Léa Pool

Nous pouvons voir des images en Bolivie où, malgré des conditions de détention très difficiles, on se croirait dans une fête familiale sans hommes. Une intervenante souligne ceci : « Pour un enfant, la mère est sa maison. » Et c'est ainsi que la prison peut devenir, paradoxalement, un foyer.

LE DROIT À L'AMOUR

En 2005 à San Francisco, des enfants de parents prisonniers ont proposé une Charte des droits spéciale les concernant. Leurs conclusions, lucides et très matures, parsèment le documentaire. On comprend que c'est pratiquement un droit à l'amour parental qu'ils revendiquent. Au départ, Léa Pool voulait donner la parole surtout aux enfants, tous hyper allumés et conscients de leur situation dans son film. Elle s'est rapidement rendu compte qu'elle ne pouvait pas ne pas faire parler les mères. Tout le noeud du problème coercitif est là.

La réalisatrice ne propose pas de solutions, mais demande une prise de conscience. Se soucie-t-on vraiment des enfants, de la maternité, quand on doit punir ? « Ce film devrait être vu dans les écoles, car il y a beaucoup d'enfants qui ont un parent en prison, pense Léa Pool. Pour dédramatiser ça auprès d'eux et de leurs amis. C'est un film qui devrait être vu par ceux qui vont devenir juges ou avocats, qui devrait être vu aussi dans les prisons. »

« J'ai l'impression que je n'en aurai jamais assez à dire sur l'univers féminin et les femmes », admet Léa Pool, qui estime avoir encore une fois été confrontée à l'injustice envers les femmes dans son projet. « C'est encore d'elles qu'on s'occupe le moins, dont la situation est la plus précaire. Les enfants et les femmes sont toujours un peu les laissés-pour-compte du système. Mais j'ai trouvé une solidarité, et une résilience des enfants qui ont une capacité de vivre avec ces drames malgré tout. J'aimerais beaucoup pouvoir suivre dans un autre film ce qu'ils sont devenus. » 

Double peine prendra l'affiche le 3 novembre.

photo fournie par les films séville

La réalisatrice Léa Pool est allée à la rencontre d'enfants dont la mère est emprisonnée, au Népal, en Bolivie, aux États-Unis et au Québec.