Il y a 44 ans, Bobby Riggs a voulu organiser des matchs «d'exhibition» contre les championnes de tennis du moment afin de prouver la supériorité masculine et de se moquer de ce que certains appelaient à l'époque «le sexe faible». Billie Jean King a décidé que la farce avait assez duré. Valerie Faris et Jonathan Dayton retracent cet épisode charnière de l'histoire de la société américaine, avec l'aide d'Emma Stone et de Steve Carell.

Le 20 septembre 1973, Billie Jean King a marqué l'histoire en remportant bien plus qu'un match de tennis. En battant l'ancien champion Bobby Riggs, qui avait organisé ce spectacle pour attirer l'attention, la championne a fait avancer la cause des femmes d'un pas de géant, devant un auditoire de 40 millions d'Américains.

Quand le scénario de Battle of the Sexes, qui devait un temps être porté à l'écran par Danny Boyle (Slumdog Millionaire), leur est parvenu, Valerie Faris et Jonathan Dayton (Little Miss Sunshine) ont vu une occasion de révéler les dessous d'une histoire ayant eu un grand impact sur le plan social et politique.

«Nous avons retravaillé le scénario afin qu'il reflète davantage le parcours émotionnel de Billie Jean et de Bobby, a confié le couple lors d'un entretien accordé à La Presse. Nous voulions qu'il fasse aussi écho à la société américaine des années 70, très réprimée sur le plan sexuel, et encore très ancrée dans les stéréotypes sexistes et homophobes. D'où l'importance du combat qu'a mené Billie Jean à cette époque.»

L'élection de Donald Trump change tout

Au moment où les cinéastes ont commencé à travailler sur ce projet de film, l'élection de Hillary Clinton à la présidence des États-Unis ne faisait aucun doute. Aussi voyaient-ils Battle of the Sexes comme une célébration des victoires qu'ont obtenues les femmes au fil des quatre dernières décennies, culminant sur l'élection d'une femme à la tête du plus puissant pays du monde. L'histoire, bien sûr, en a décidé autrement. «Nous n'avons rien changé au scénario, mais nous devons faire une autre lecture du film aujourd'hui, fait remarquer Valerie Faris. L'élection de Donald Trump constitue un net recul pour la cause des femmes, des Afro-Américains, de la communauté LGBTQ, des immigrants et de plein d'autres communautés. En fait, on ne sait même pas jusqu'où on recule parce qu'il y a dans l'ascension de cet homme autre chose, que nous ne parvenons pas à définir. Le type de discours qu'on entend maintenant est complètement inédit en ce pays.» «On ose espérer que la situation est temporaire, ajoute Jonathan Dayton. Si notre culture emprunte vraiment la direction dans laquelle elle est maintenant engagée, il y a lieu de craindre pour nous tous.»

L'équité: toujours un enjeu

Dans les années 70, Billie Jean King s'est battue afin que les joueuses de tennis puissent avoir accès à des bourses similaires à celles de leurs collègues masculins. Son action a eu des résultats tangibles. «Je suis ravie que Sloane Stephens ait pu toucher 3,7 millions de dollars pour sa victoire au US Open, a déclaré l'icône lors d'une conférence de presse tenue à Los Angeles dimanche. Je le suis d'autant plus que Mlle Stephens est une Afro-Américaine, et que le monde du tennis est encore trop blanc.» Valerie Faris et Jonathan Dayton reconnaissent qu'un travail énorme reste à faire dans tous les domaines, y compris dans le milieu du cinéma hollywoodien, où les disparités salariales entre les actrices et les acteurs sont immenses. «Nous avons pris toutes les dispositions pour que les femmes et les hommes ayant travaillé sur notre film aient le même cachet, y compris Emma et Steve, et Valerie et moi, indique Jonathan Dayton. Il nous reste encore beaucoup de chemin à faire et de là découle notre intérêt pour ce film. On trouvait intéressant de regarder le progrès qui a été fait - ou pas - depuis 40 ans. À cet égard, Billie Jean est un modèle, car elle a fait en sorte que les choses changent de façon très concrète.»

L'égalité du couple

Si les tandems de frères cinéastes sont légion dans le domaine du cinéma, plus rares sont les couples. Valerie Faris et Jonathan Dayton, qui ont signé au début de leur carrière des clips pour R.E.M. et Red Hot Chili Peppers, ont toujours travaillé ensemble. «Les dissensions sont très rares entre nous, mais quand il s'en pointe une, le plus passionné gagne, expliquent-ils. C'est un luxe de travailler avec quelqu'un qui peut suggérer des choses auxquelles on n'avait pas pensé sur le plan individuel. Dans Battle of the Sexes, le plus grand défi a été d'être à la hauteur de l'histoire d'une icône comme Billie Jean King. Il fallait aussi trouver l'équilibre entre les aspects d'un récit qui touche à la fois le domaine sportif, la politique, l'amour, l'homosexualité, bref, ce film n'a rien de typique. Par-dessus tout, nous tenions à ce que les scènes de tennis soient excitantes à voir!»

Un rôle inédit pour Emma Stone

«Je n'avais jamais eu à incarner une personne qui existe vraiment, donc je ne savais trop à quoi m'attendre sur le plan de l'approche, a déclaré Emma Stone lors d'une conférence de presse où elle était assise à côté de Billie Jean King. Quand j'ai rencontré Billie Jean la première fois, j'ai tout de suite vu comment elle accueille ce genre de choses. Nous avons beaucoup discuté, car elle porte aujourd'hui, forcément, un regard beaucoup plus clair sur ce qui s'est passé à l'époque, tant dans sa vie d'athlète que dans sa vie privée. J'ai voulu vraiment l'observer et voir tous les documents d'archives, car je ne joue pas au tennis du tout. On m'a entourée d'une équipe exceptionnelle - j'ai été doublée, bien sûr - et j'ai pu apprendre les postures et les chorégraphies. S'il avait fallu que le film porte seulement sur le match, il est certain que je n'aurais jamais décroché le rôle!»

Billie Jean King: une vie à militer

Après avoir enlevé pas moins de 39 titres du Grand Chelem, changé à jamais le monde du tennis, porté à bout de bras la cause des femmes lors d'un match lourdement symbolique contre Bobby Riggs, après avoir aussi été l'une des premières personnalités publiques à révéler son homosexualité, Billie Jean King reste toujours très active, notamment par l'entremise de fondations consacrées aux luttes contre toutes les discriminations, ainsi qu'à l'équité pour les athlètes féminines. «Les mentalités changent, mais il reste encore du travail à faire, a-t-elle déclaré. Les athlètes féminines se font constamment poser des questions sur leur vie personnelle et amoureuse, auxquelles leurs collègues masculins n'ont jamais à répondre. Le sport reste le dernier bastion du machisme et certains hommes sont encore terrifiés de révéler leur homosexualité s'ils évoluent dans le monde du sport professionnel. J'aime que Battle of the Sexes s'attarde principalement aux relations entre les personnages et à la complexité de ces rapports. À mes yeux, ce film est parfait!»

Le clown triste

Steve Carell a eu la tâche d'incarner Bobby Riggs. Cet ancien champion de Wimbledon, âgé de 55 ans au moment de son match contre Bille Jean King, a voulu attirer l'attention en clamant la supériorité masculine à coup de déclarations incendiaires et de moqueries. «On a l'image du clown, indique Steve Carell, mais c'est en regardant une interview qu'il a accordée à l'émission 60 Minutes que j'ai pu voir la faille en lui. J'ai composé le personnage en m'inspirant de la douleur intérieure qu'il ressentait, visiblement.» Les cinéastes ont d'ailleurs tenu à ce que les personnages desquels émanent des idées grotesques à l'oeil du spectateur d'aujourd'hui ne soient pas traités en caricatures. Même la rivale de Billie Jean King, la championne australienne Margaret Court, a droit à ce traitement respectueux, elle qui, encore tout récemment, y est allée de commentaires très homophobes. «Billie Jean a toujours traité ses adversaires avec le plus grand respect, et elle a toujours préféré la discussion à l'insulte», indique Jonathan Dayton. Dont acte.

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Battle of the Sexes (La bataille des sexes en version sous-titrée française) prendra l'affiche le 29 septembre.

Les frais de voyage ont été payés par Fox Searchlight.