Dix ans après la sortie du film-choc An Inconvenient Truth, Oscar du meilleur documentaire en 2007, Al Gore revient à la charge. Dans An Inconvenient Sequel: Truth to Power, l'ancien vice-président des États-Unis nous présente des constats consternants mais surtout, plusieurs pistes de solution. Entrevue avec celui qui a fait de la lutte contre les changements climatiques le combat de sa vie.

Al Gore aurait pu intituler son film: «I told you so...». En effet, la plupart des catastrophes annoncées dans son précédent documentaire, An Inconvenient Truth, se sont réalisées au cours de la dernière décennie : montée des eaux, incendies de forêts, vents violents, etc. Les éléments se déchaînent de plus en plus fort, de plus en plus souvent.

On se souviendra que plusieurs commentateurs avaient ridiculisé les thèses défendues par l'ex-candidat à la présidence des États-Unis. Al Gore nous le rappelle en introduction de son nouveau film où on peut entendre des extraits d'émissions de radio dans lesquels les animateurs se paient sa tête. Aujourd'hui, ces mêmes commentateurs doivent rire jaune. Car Al Gore avait raison: l'eau a bel et bien monté à Manhattan, jusqu'à inonder le site du Mémorial du 11-Septembre. Des poissons ont nagé dans les rues de Miami après une inondation. Des morceaux d'iceberg se sont détachés des glaciers dans le Grand Nord. 

«J'aurais aimé avoir tort, affirme le principal intéressé en entrevue avec La Presse. Mais la vérité c'est que pas mal tout ce dont je parlais en 2006 s'est concrétisé au cours des dernières années.»



La suite

Dans An Inconvenient Sequel: Truth to Power, Al Gore reprend son bâton de pèlerin et parcourt la planète, à la recherche de preuves et de solutions aux changements climatiques. On le voit au Groenland en compagnie d'un scientifique suisse qui lui montre comment un glacier se détache. On le suit aux Philippines, dévastées par des inondations provoquées par le typhon Haiyan

On assiste à ses conférences, lorsqu'il s'adresse aux futurs bénévoles qui se sont enrôlés dans sa fondation. On l'entend expliquer, la gorge serrée, que les scientifiques recommandent désormais à des femmes de ne pas tomber enceintes pour une période d'au moins deux ans à cause du virus Zika. 

«C'est la première fois de ma vie que j'entends cela», avoue-t-il devant un auditoire qui partage son émotion. Enfin, on l'accompagne dans les coulisses de la Conférence de l'ONU sur les changements climatiques, à Paris, en décembre 2015, conférence où l'on a bien failli ne jamais atteindre un consensus.

Des solutions vertes

Est-ce pour achever de nous décourager qu'Al Gore a décidé de faire une suite à son film ? Pas du tout, répond l'ancien acolyte de Bill Clinton. C'est Jeff Skoll, son producteur, qui l'a convaincu de poursuivre l'aventure. 

«Jeff et moi pensions qu'après 10 ans, il y avait un nouveau message à livrer, poursuit Al Gore. Il y a eu deux grands changements au cours des dernières années. Premièrement, c'est vrai, les évènements liés aux changements climatiques ont gagné en intensité et en fréquence.» 

«Je sais que récemment, vous avez eu de graves inondations au Québec. La Colombie-Britannique est ravagée par des incendies. Ces jours-ci, la Californie aussi est aux prises avec des feux de forêt. Donc il fallait parler de ça.»

«L'autre changement, poursuit l'ex-politicien, c'est qu'aujourd'hui, nous avons des solutions. L'électricité produite à partir de l'énergie solaire est beaucoup moins dispendieuse que celle produite à partir d'énergies fossiles. Il y a des autos électriques. Bref, il y a de plus en plus de solutions à notre disposition, et nous les présentons dans le film. Donc, notre message, c'est qu'il y a de l'espoir.»

Une candidature Gore?

Dans An Inconvenient Sequel, on voit Al Gore travailler en marge de la conférence des Nations unies sur le changement climatique de Paris pour convaincre l'Inde de privilégier l'énergie solaire. On assiste en quelque sorte à un affrontement avec les pays émergents qui ont enfin accès aux sources d'énergie et qui se demandent pourquoi ils devraient s'en priver alors que les pays industrialisés en ont profité durant 150 ans. 

Et on assiste aux efforts des pays industrialisés - et d'Al Gore - pour les convaincre d'adopter des sources d'énergie propre. Le film - qui, finalement, porte tout autant sur l'oeuvre d'Al Gore que sur la lutte contre les changements climatiques - laisse même entendre que ce dernier a joué un rôle déterminant dans les pourparlers qui ont mené à la signature de l'Accord de Paris. 

Une impression accentuée par les propos de son producteur: «C'est plus qu'un film dont nous vous parlons aujourd'hui, c'est l'objectif de sa vie», insiste Jeff Skoll au téléphone. «Quand tout le monde disait qu'il avait tort, il a continué. Cela prend tout un leader pour encaisser les critiques et continuer comme il l'a fait.»

Dans un tel contexte, impossible de ne pas demander à M. Gore s'il compte se présenter à nouveau en 2020. Il se contentera de répondre par une boutade: «Je suis un politicien en rémission, dit-il en riant. Le plus longtemps je passe sans rechuter, le mieux je me porte.»

L'ex-vice-président, qui a déjà occupé un bureau dans le West Wing, trouve-t-il difficile de devoir exercer son influence en marge des lieux de pouvoir? «C'est certain que je m'ennuie de certaines choses de la Maison-Blanche, de pouvoir provoquer les choses, mais j'ai continué à travailler à l'extérieur.»

Le climat à l'ère Trump

Vers la fin du film, tourné après l'élection de novembre 2016, on voit Al Gore s'engouffrer dans l'ascenseur de la Trump Tower, à Manhattan. Puis l'image coupe et on passe à une autre scène. Que s'est-il passé dans les appartements du nouveau président des États-Unis lorsque la caméra s'est éteinte? «J'ai essayé de convaincre M. Trump de ne pas se retirer de l'accord de Paris, raconte Al Gore, qui s'est engagé à protéger la confidentialité de leurs échanges. Disons seulement que je n'ai pas réussi à le convaincre.»

L'élection de Donald Trump, et ses actions contre la lutte contre les changements climatiques, auraient très bien pu être le coup de grâce au combat que mène Al Gore depuis de nombreuses années. Mais le candidat déchu à la présidence des États-Unis se dit tout de même confiant.

«En 40 ans, il y a eu plusieurs reculs mais malgré tout, nous progressons, assure-t-il. Oui l'élection de Donald Trump, ainsi que les propos qu'il a tenus depuis qu'il est au pouvoir, sont sources d'inquiétude. Mais après qu'il ait annoncé son retrait du traité de Paris, j'ai vu la réaction du monde entier, ainsi que celle des maires et des gouverneurs américains qui se sont engagés à continuer la lutte. Cela me réjouit énormément.»

An Inconvenient Sequel: Truth to Power. Réalisé par Bonnie Cohen et Jon Shenk. Avec Al Gore.

Image fournie par Paramount Pictures

An Inconvenient Sequel: Truth to Power porte tout autant sur l'oeuvre d'Al Gore que sur la lutte contre les changements climatiques.