Évoquer le passé pour mieux parler du présent ? C'est un peu ce que fait François Ozon avec Frantz. Même si la majeure partie de son film est en noir et blanc et se déroule en allemand, le réalisateur de Potiche signe l'un des plus beaux succès de sa carrière grâce à ce drame romantique à caractère historique.

L'attentat contre Charlie Hebdo venait tout juste de survenir lorsque François Ozon s'est attelé à l'écriture du scénario de Frantz. Un hasard ? Peut-être. Mais le fait est qu'aujourd'hui, un film comme celui-là, qui se déroule au lendemain de la Première Guerre mondiale, trouve une résonance inattendue.

« Il est vrai que ce film touche sans doute quelque chose avec tout ce qui se passe en ce moment, a expliqué le cinéaste au cours d'un entretien accordé à La Presse lors d'un récent passage à Montréal. Avec le Brexit, l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, la montée des partis nationalistes, on sent que l'histoire se répète d'une certaine façon. Quand j'ai commencé à écrire le scénario - c'était après Charlie, mais avant le Bataclan -, on sentait déjà une crispation identitaire en France. On entendait partout des gens entonner spontanément La Marseillaise. Ils se l'appropriaient dans une volonté de rassemblement. Or, les paroles sont d'une violence inouïe ! »

Amitiés improbables

Ce phénomène a donné l'idée au cinéaste d'utiliser le chant patriotique dans un tout autre contexte. Ou, à tout le moins, de le faire entendre sous une autre perspective. Le récit de Frantz est en effet construit autour de l'amitié improbable entre Anna (Paula Beer), une jeune Allemande dont le fiancé - le Frantz du titre - est mort sur le front en France, et Adrien (Pierre Niney), un soldat français qui, étonnamment, est allé se recueillir sur la tombe du défunt. Dans ce petit village allemand, la présence de cet « ennemi » cause quand même un certain émoi au lendemain d'une défaite humiliante. Quand, à son tour, Anna se rend en France pour retrouver Adrien, La Marseillaise est entonnée par les clients d'un bistrot dans lequel elle entre.

« Je voulais qu'on l'entende différemment, précise François Ozon. Qu'on emprunte le point de vue d'une étrangère qui le prend comme une agression, forcément. La Marseillaise est un chant guerrier, on a tendance à l'oublier ! »

Au-delà du contexte historique, il reste que Frantz demeure un drame romantique avant toute chose. Le point de départ est une vieille pièce de théâtre que Maurice Rostand a écrite tout juste après la Grande Guerre. Il se trouve qu'Ernst Lubitsch s'est inspiré de cette oeuvre pour Broken Lullaby, l'un de ses rares films plus dramatiques (et aussi l'un de ses moins connus).

« Ce n'est qu'en travaillant à partir de cette pièce de Rostand, qui m'avait été proposée par un ami, que j'ai appris l'existence du film, explique le cinéaste. J'ai failli laisser tomber, car vraiment, que peut-on faire si Lubitsch est déjà passé par là ? J'ai regardé Broken Lullaby, qui fut un échec à l'époque, et j'ai constaté que la manière qu'a empruntée Lubitsch pour raconter cette histoire n'était plus envisageable aujourd'hui. À l'époque où il a réalisé son film, en 1931, il ne pouvait pas deviner ce qui allait survenir quelques années plus tard. Ça donne à l'ensemble un aspect quasiment ironique. Aussi, l'histoire était racontée du point de vue du soldat français. J'ai préféré me placer du côté des vaincus. »

Brouiller les pistes

Ozon étant Ozon, il s'amuse aussi, à titre de cinéaste, à brouiller les pistes quant à la nature du lien qui unit Adrien au fameux Frantz, l'ancien fiancé d'Anna. Ainsi, le spectateur se demandera forcément pourquoi ce soldat français a ressenti le besoin d'aller jusqu'en Allemagne pour se recueillir sur la tombe de son rival, au point même d'aller sympathiser ensuite avec la fiancée et les parents du disparu.

« Avec Pierre [Niney], on s'est dit dès le départ que le spectateur d'aujourd'hui, considérant mon cinéma, allait s'imaginer des choses, fait remarquer le réalisateur, sourire en coin. Il est certain qu'on en a joué et qu'il n'y a rien d'innocent. »

« Ce qui me plaît, c'est qu'on apprend seulement à la fin s'il s'agit ou pas d'une fausse piste. Tout exercice de mise en scène en est un de manipulation ! »

Même s'il avait déjà tâté du film d'époque grâce à Angel, François Ozon propose ici un premier film à caractère historique, dont le récit est vraiment ancré dans une réalité. S'il estime que le genre n'est pas très compliqué à faire quand on dispose de bons moyens (« beaucoup de documents existent, dit-il, contrairement à l'époque du Moyen Âge » !), le cinéaste a quand même dû convaincre ses producteurs pour l'utilisation du noir et blanc.

« Le cinéma étant principalement financé par les chaînes de télévision en France, il est certain que l'idée d'un film en noir et blanc comportant des sous-titres n'est pas idéale pour une présentation en prime time. J'ai pu convaincre les producteurs en leur faisant valoir que le film allait coûter moins cher comme ça. L'argument est un peu fallacieux, mais ça a marché ! J'estimais que l'utilisation du noir et blanc se justifiait par cette capacité de rendre plus vraie la mémoire de cette époque. Les quelques scènes en couleurs sont là quand la vie revient. En fait, tout cela relève plus de l'ordre du ressenti. Il n'y a rien de systématique. »

Le prochain ? Un thriller érotique !

Le prochain film de François Ozon, déjà en cours de montage, ne pourrait être plus différent. L'amant double est un thriller érotique, adapté d'un roman que Joyce Carol Oates a signé sous le pseudonyme Rosamond Smith. Le récit tourne autour d'une jeune femme dépressive (Marine Vacth) qui partage la vie de son psychothérapeute (Jérémie Renier). Jacqueline Bisset fait aussi partie de la distribution de ce film dont le lancement devrait avoir lieu dans l'un des grands festivals cette année.

Frantz prendra l'affiche le 7 avril.

Photo fournie par Métropole Films

La majeure partie du film d'époque est en noir et blanc.

PHOTO Martin Chamberland, LA PRESSE

Le réalisateur François Ozon s'est amusé à brouiller les pistes dans Frantz, les motivations de son héros restant troubles jusqu'à la fin.