Fabriqué en grande partie au Québec, le film d'animation Ballerina a déjà attiré près de 2 millions de spectateurs en France. Ses producteurs nous expliquent leur aventure, et pourquoi leur film est tapissé de chansons anglophones, même dans la version française.

La jeune Félicie a grandi dans un orphelinat en Bretagne à la fin du XIXe siècle. Passionnée de danse, cette fillette délurée met au point un plan pour s'échapper de l'établissement avec son ami Victor. Elle veut se rendre dans la capitale afin de poursuivre son rêve de devenir danseuse étoile à l'Opéra de Paris.

L'intrigue de Ballerina se déroule ainsi à l'une des époques les plus effervescentes de l'histoire de la Ville Lumière. Gustave Eiffel est en train de faire monter sa tour. Le sculpteur Auguste Bartholdi construit de son côté la statue de la Liberté, que le peuple français s'apprête à offrir en cadeau au peuple américain à l'occasion du centenaire de leur déclaration d'indépendance. L'Opéra de Paris trône au bout de l'avenue qui porte son nom depuis quelques années à peine.

«En 2010, les réalisateurs Éric Summer et Éric Warin nous ont proposé un projet intitulé alors La véritable histoire des petits rats de l'Opéra, accompagné de quelques croquis, expliquent les producteurs Yann Zenou et Laurent Zeitoun lors d'un entretien accordé à La Presse. Nous avons très vite vu dans le récit de cette petite Bretonne qui veut monter à Paris pour devenir danseuse le potentiel d'une histoire internationale, très positive, dotée d'un message fort. On a corsé les personnages, rajouté de l'aventure et boosté l'histoire afin que le principe de ne jamais renoncer à ses rêves soit davantage mis de l'avant. Nous tenions aussi à ce que ce film touche tout le monde: filles, garçons et adultes.»

Le choix du Québec

L'idée de coproduire Ballerina avec le Québec s'est très vite imposée. Les deux réalisateurs, d'origine française, résident en effet chez nous. Montréal est aussi reconnu pour la diversité et la qualité de ses talents dans le domaine de l'animation. La société de production Caramel Films, dirigée par André Rouleau (Starbuck, Goon), a en outre été mise à contribution.

«Aussi, le système de financement québécois et canadien aide beaucoup le cinéma d'animation. Nous n'avons pas eu à réfléchir très longtemps!», explique Laurent Zeitoun, producteur de Ballerina.

Ballerina est le premier long métrage à sortir de L'Atelier Animation, une entreprise créée il y a cinq ans. Les producteurs ne tarissent pas d'éloges envers des artisans qui, à l'arrivée, ont fabriqué un film d'animation de calibre international avec un budget d'environ 30 millions de dollars, soit six fois moins que ce qu'il en coûte habituellement pour produire un film d'animation hollywoodien.

«Nous avions de grandes ambitions, autant sur le plan narratif qu'en termes de rendu visuel. Nous avions aussi le sentiment que ce projet avait vraiment le potentiel d'une carrière internationale. Il n'y avait rien de facile, cela dit. Retranscrire les mouvements de danse en animation traditionnelle a été un véritable enjeu. Reconstruire le Paris de la fin du XIXe aussi. Le modèle hollywoodien étant impossible à imiter avec le budget dont nous disposions, il nous a fallu trouver des astuces. Par exemple, une scène romantique était censée se dérouler au milieu d'une foule, mais faute de moyens, on a dû penser à autre chose. On y a gagné en intimité et en émotion!»

Pour la version destinée aux pays francophones, des acteurs français, parmi lesquels Camille Cottin (Appelez mon agent), prêtent leur voix aux personnages. Elle Fanning, Dane DeHaan et Carly Rae Jepsen en font de même dans la version internationale. Incidemment, le film sortira aux États-Unis au printemps sous le titre Leap.

Chansons anglaises dans la version française

Les petits spectateurs francophones - autant que les grands - seront peut-être étonnés d'entendre plusieurs chansons pop anglophones ponctuer le récit, même dans la version française. Ce choix artistique est ici pleinement assumé, même si rien ne le justifie. À l'époque qu'évoque Ballerina, la culture française était l'une des plus rayonnantes en Europe, sinon dans le monde. Le choix d'utiliser des chansons pop pour moderniser l'ensemble est compréhensible, mais n'aurait-il pas été mieux de proposer aux petits francophones des tubes de Mylène Farmer ou de Marie Mai?

«On a essayé beaucoup de choses, reconnaissent MM. Zenou et Zeitoun. Nous avons d'abord utilisé de la musique classique, mais, étrangement, il en ressortait assez peu d'émotion. Nous avons ensuite fait composer une trame musicale originale. C'était mieux, mais ça ne marchait pas encore. Finalement, le compositeur Klaus Badelt a suggéré l'idée d'utiliser des chansons pop. Très franchement, on n'y croyait pas. Mais à notre grande surprise, les scènes ont tout à coup pris un autre relief!

«Bien sûr, poursuivent-ils, nous avons pensé les adapter pour le marché francophone, mais il devient alors bien difficile de traduire les chansons d'artistes comme Sia ou Carly Rae Jepsen. Et puis, ces pièces n'ont aucune fonction narrative. Elles sont placées là pour mettre du rythme, colorer une émotion, mais elles ne font pas avancer l'histoire. On s'est dit qu'on allait trouver l'équivalent en France, mais comme nous étions déjà dans une usine de production, ça devenait trop compliqué.»

De la démocratisation

De cette façon, les producteurs estiment que le film a eu comme résultat de démocratiser la danse classique. Le succès de Ballerina au box-office en France semble leur avoir donné raison.

«Quand Casse-noisette est repris sur scène, c'est merveilleux et la magie opère année après année, font-ils remarquer. Sur grand écran, c'est autre chose. L'énergie des scènes, des chorégraphies même, était mieux servie par de la musique pop.»

Fort du succès de Ballerina, un autre projet de long métrage d'animation, toujours fabriqué à L'Atelier Animation, est en marche. The Bravest aura pour cadre le monde des pompiers dans le New York des années 20, et racontera l'histoire d'une jeune fille qui devra se faire passer pour un homme afin d'exercer le métier dont elle rêve. Une sorte de Yentl chez les pompiers, en quelque sorte.

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Ballerina prendra l'affiche le 24 février.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.