La dernière fois qu'on l'avait vu à Montréal, c'était pour son spectacle de Noël dans lequel il nous intimait de profiter de tous les malaises familiaux inévitables de ce haut moment de la culture chrétienne. « Je m'en souviens, il y avait une énorme tempête dehors », nous dit-il au téléphone. John Waters aime bien notre ville, qui l'a toujours bien reçu. Ce qu'il aime plus particulièrement ? Le fait qu'on y parle une autre langue - « moi qui ne peux pas en parler d'autres, puisque je suis un Américain stupide » - et les bars de striptease. « Vous en avez des radicaux, vous savez ! »

Cette fois, il vient nous présenter la plus récente mouture de son populaire one-man-show This Filthy World, qu'il modifie régulièrement. « Je l'adapte et le change constamment », confirme-t-il, mais il ne parlera pas de Donald Trump. « Parce que c'est trop facile. » Ce qui lui fait bien plaisir, par contre, c'est qu'il ait été choisi par son parti, parce « qu'il va nuire aux républicains pour les 10 prochaines années ».

Dans ce spectacle qu'il promène en Amérique depuis de nombreuses années, John Waters livre sa vision du monde, raconte ses débuts au cinéma, ses influences, ses obsessions, son amour pour les livres comme pour le mauvais goût. Pour ceux qui ne le connaissent pas, il espère qu'ils découvriront « qu'on peut être névrosé et heureux en même temps ». « Je pense que c'est ce que mes films et mon humour enseignent. »

« Je veux aller dans des zones inconfortables. »

- John Waters à propos de son oeuvre

D'ailleurs, à ce sujet, et même si toute sa cinématographie attaque de front l'homophobie, le racisme et le conformisme en général, mais par des détours pervers qui permettent de mettre à nu l'hypocrisie de sa société, il n'aime pas un certain esprit politiquement correct qui aurait probablement tué sa carrière dans l'oeuf si cet esprit avait sévi au début de sa carrière, dans les années 60. « Je ne comprends pas ce concept de psychologues qu'il faut nous prévenir, je pense que ça fait des gens trouillards. »

Il comprend un peu l'utilité que peut avoir le politiquement correct, mais ces « espaces sécurisés » (safe spaces) qui se multiplient dans les campus américains semblent l'inquiéter. « Car en même temps, je cherche les espaces qui ne sont pas sécurisants dans la vie : c'est ce qui peut te faire comprendre les choses différemment. Je ne veux pas me tenir seulement avec des gais, je ne veux pas me tenir seulement avec des Blancs, je ne veux pas me tenir seulement avec des réalisateurs ou des écrivains. Je veux que tous ces gens se mélangent, et je crois que la seule chose qui peut unir tous ces gens-là, c'est l'humour. »

LE BONHEUR DANS LA DISPERSION

John Waters est un être curieux de tout, ce qui semble être le secret de sa forme. En plus de ses spectacles, il écrit des livres, il édite des compilations de ses chansons préférées - on peut d'ailleurs aller scruter ses goûts musicaux sur Spotify -, il participe à des documentaires, accepte toutes les apparitions dans les productions qui l'invitent pour lui rendre hommage, mais il se fait malheureusement rare au cinéma. Son dernier film, A Dirty Shame, qui se moquait du puritanisme sexuel, remonte à 2004.

« Merci beaucoup de vous ennuyer de mes films, mais ça ne me manque pas vraiment, avoue-t-il. Se lever à 6 h du matin, répondre aux questions de tout le monde... Et puis, il faut rester dans une business qui nous veut. Le cinéma indépendant, aujourd'hui en Amérique, est en mauvaise forme. Ça a beaucoup changé depuis mes débuts. C'est une période plus difficile, parce qu'il y a moins de distributeurs. »

« On veut faire des films avec de moins en moins d'argent tout en voulant toujours des vedettes. Et on ne veut même plus de vedettes, on veut seulement des effets spéciaux ! »

- John Waters

Il admet avoir cependant quelques projets en développement pour la télé, notamment pour HBO. Mais contrairement à ce qu'on pourrait penser, John Waters n'est pas un adepte de la téléréalité. « Parce que ce n'est pas de la réalité et qu'on utilise le plus petit dénominateur commun pour que les téléspectateurs se sentent supérieurs aux gens qui sont dans ces émissions. »

AMOUR DES LIVRES

Une chose ne change pas, c'est son amour des livres - il en possède des milliers. Il a déjà sorti une phrase fameuse à ce sujet : « On a besoin de rendre les livres cool de nouveau. Si vous allez chez des gens et qu'ils n'ont pas de livres, ne les baisez pas ». Bref, un make books cool again est quelque chose qui lui parle plus que le make America great again de Donald Trump. « Les livres rendraient l'Amérique meilleure parce que les gens seraient plus intelligents. Je crois que la lecture est encore la chose la plus importante pour nous rendre plus brillants. » Et les shows de John Waters aussi y contribuent.

Photo Greg Gorman, Archives La Presse Canadienne

John Waters présente This Filthy World, demain, à 20 h, au Théâtre Rialto.

Photo Greg Allen, Archives Associated Press

John Waters présente This Filthy World, demain, à 20 h, au Théâtre Rialto.