Dans Les innocentes, la cinéaste française Anne Fontaine raconte l'histoire d'une jeune médecin qui vient au secours d'un groupe de religieuses polonaises violées par des soldats russes à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Un drame terrible qui donne lieu à une relation d'amitié improbable entre des femmes issues d'univers complètement différents.

Qu'est-ce qui vous a intéressée dans cette histoire?

L'histoire de Mathilde Beaulieu, cette jeune médecin de la Croix-Rouge française, est véridique et c'est une épopée humaine incroyable. Elle rencontre ces religieuses qui ont été violées, puis qui sont tombées enceintes. C'est une situation d'une grande violence qui pose des questions sur la foi, la violence, la maternité. Et puis, cette histoire met en scène des personnages passionnants. Bref, j'ai été bouleversée.

Est-ce que Mathilde Beaulieu avait laissé un journal?

Tout ce que nous avions, c'est son carnet de bord dans lequel elle notait tout ce qui arrivait au jour le jour. C'était très succinct, elle ne parlait pas de ses états d'âme, il n'y avait rien de romantique. Je me suis donc documentée, j'ai fait faire des recherches par un historien polonais qui a découvert que des agressions de ce genre avaient eu lieu dans deux ou trois couvents polonais. Ensuite, on a interprété les choses.

Comment vous êtes-vous préparée pour tourner ce film?

J'ai fait deux retraites de trois ou quatre jours chacune dans deux monastères différents. Ce fut déterminant pour sentir le rythme, le rapport des religieux au silence, à la foi. Il n'y a pas grand-chose qui ait changé depuis 1945 dans la vie au couvent. On y retrouve un peu ce qu'on retrouve dans la vie de famille: des tensions, des grandes amitiés. Sauf qu'en plus, il y a la question de la foi qui est là. C'était important pour moi de sentir les choses de l'intérieur, de pouvoir discuter avec les religieuses. J'ai parlé de différents sujets avec ces femmes: du viol, de maternité... des discussions qui m'ont beaucoup éclairée.

Quelle relation entretenez-vous avec la religion catholique?

J'ai reçu une éducation catholique jusqu'à l'âge de 10-12 ans, mais je n'ai jamais été croyante dans le sens classique du terme.

Dans le film, certaines décisions de la mère supérieure sont difficiles à accepter. Comment les interprétez-vous?

Il n'y a aucun jugement de ma part, sinon cela aurait abîmé le propos. La mère supérieure prend des décisions qu'elle croit nécessaires pour faire le bien et pour protéger sa communauté. C'est un personnage qui vit une grande souffrance, joué par une grande interprète. La situation est très complexe, et le spectateur se fait sa propre opinion. Puis il y a le personnage de soeur Maria qui est une sorte d'héroïne moderne, qui est dans la désobéissance positive. En se libérant de la hiérarchie, elle va vers la lumière. Ce n'est pas un film sur l'Église, c'est un film sur la transgression.

Comment s'est passé le tournage?

Nous avons tourné en Pologne, car je ne m'imaginais pas tourner ailleurs que là. Au début, c'était un peu la folie. Tout le monde parlait polonais - les techniciens, la plupart des actrices -, je ne comprenais rien de ce que les gens disaient. Je me suis mise à avoir peur, je me suis dit: "Mais qu'est-ce que tu fais là?" Les codes et la langue étaient impénétrables. Mais des fois, c'est bien de ne pas comprendre. Au final, l'expérience a été intéressante.

Les images et la lumière de ce film sont d'une grande beauté. Quelle a été votre inspiration?

La chef-opératrice Caroline Champetier a accompli un travail d'une grande profondeur. Il y avait le désir d'apporter une beauté réparatrice en réponse à l'horreur et à la violence. Nous pensions à des peintures de Georges de la Tour, des images religieuses de Vierge à l'enfant. Nous avons fait beaucoup de recherche et d'essais, nous avons travaillé sur la transparence des peaux... Il fallait que la beauté transcende la douleur.

On dit que votre film a été présenté au Vatican. Le pape l'a vu?

Le film a en effet été présenté au Vatican, et un évêque proche de François l'a visionné et l'a aimé. Il se peut que le pape le voie à son tour bientôt.

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Les innocentes prend l'affiche le 19 août.

Anne Fontaine en cinq films

Les histoires d'amour finissent mal... en général (1992)

Nettoyage à sec (1997)

Coco avant Chanel (2008)

Mon pire cauchemar (2011)

Gemma Bovery (2014)