Dans son nouveau documentaire, Lo and Behold, le cinéaste culte Werner Herzog pose un regard critique sur notre dépendance aux nouvelles technologies. La Presse lui a parlé.

La question semble idiote: qui n'est jamais allé dans un chalet où le réseau cellulaire était inexistant? Pourtant, affirme le cinéaste Werner Herzog, se passer entièrement et subitement de l'internet pourrait être l'amorce d'un scénario résolument apocalyptique.

Selon le maître du cinéma (Fitzcarraldo, Aguirre), l'arrivée de l'internet en 1969, quand des étudiants ont tenté d'établir une connexion entre deux ordinateurs, est aussi marquante pour l'humanité que la découverte du feu. C'est avec cette prémisse qu'Herzog s'est penché sur la création et le développement du World Wide Web dans son nouveau documentaire Lo and Behold: Reveries of the Connected World.

«C'est une invention monumentale. Nous assistons présentement à quelque chose dont la magnitude est énorme. Nous devrions prendre cela avec beaucoup de sérieux», affirme l'Allemand de 73 ans, en entrevue avec La Presse de Los Angeles.

«Si l'internet cessait de fonctionner, les gens seraient des zombies en deux jours. Il n'y aurait plus d'électricité. On ne pourrait plus utiliser nos toilettes. On ne pourrait plus communiquer entre nous. Pratiquement tout ce sur quoi nous nous appuyons pour faire rouler notre civilisation serait inopérant», explique encore M. Herzog, qui n'a toujours pas de cellulaire et pour qui le web se limite aux appels par vidéoconférence qu'il fait chaque semaine avec des membres de sa famille.

Un ton philosophique

Dans ce nouveau documentaire étourdissant à la présentation quelque peu académique, Werner Herzog développe une réflexion critique des ramifications positives et négatives de l'internet en 10 chapitres, parcourant des thèmes résolument disparates.

Par exemple, le cinéaste nous présente les travaux d'un scientifique qui tente de former une équipe de robots capables de battre l'équipe de soccer du Brésil d'ici 2050. Cette rencontre captivante suggère que l'intelligence artificielle nous permettra un jour d'envoyer de tels engins dans des situations risquées pour la vie humaine.

Or, l'internet comporte également son lot d'atrocités, comme l'ont constaté les membres de la famille Catsouras, dont l'une des filles est morte dans un accident d'auto. Pendant des années, des inconnus mesquins les ont inondés de photos par courriel montrant l'enfant complètement défigurée sur les lieux de l'accident.

Quelle évaluation Werner Herzog a-t-il de l'internet, capable du meilleur et du pire?

«Vous devriez être très prudent avant de catégoriser chaque question entre le bon et le mal. C'est une façon assez primitive de réfléchir, comme dans les bons vieux westerns: le bon gars, avec son chapeau blanc, et le mauvais gars, qui n'est pas rasé, qui n'a pas pris de douche depuis quelques semaines et qui porte un chapeau noir», répond sans détour le cinéaste.

«Vous ne me demanderiez jamais si je pense que l'électricité est une bonne chose ou non. [...] Entendons-nous pour dire qu'une personne qui finit sa vie sur une chaise électrique nous inviterait probablement à revoir notre conception de l'électricité comme une belle invention.»

Bien que Werner Herzog se présente comme l'observateur neutre d'une révolution sous-estimée, laissant les prises de position aux nombreux experts qu'il présente, on sent que le cinéaste est suspicieux devant les effets négatifs de l'utilisation tous azimuts de l'internet.

«Un ami éditeur me racontait que sa petite amie, qui venait lui rendre visite tous les deux jours pendant un mois, s'était perdue en route la journée où son GPS a cessé de fonctionner. Elle avait cédé l'examen de la route à une machine plutôt qu'à [son propre cerveau]», raconte le cinéaste.

«Bien sûr, quand tu regardes [l'état de santé] du discours critique de nos jours, une simple visite dans une école suffit pour l'évaluer [...]. L'internet et les médias sociaux nous rendent stupides», poursuit M. Herzog.

Et si un jeune cinéaste avait réalisé son film, se donnant comme lui pour objectif de comprendre les ramifications de l'évolution de l'internet, ses constats auraient-ils été différents?

«Je ne pense pas que ce soit une question de génération. Il aurait sans aucun doute récolté des témoignages similaires. [...] Mon seul soupçon est que si un jeune de 20 ans avait fait mon film, le résultat aurait été plus stupide et peu profond.»

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Lo And Behold: Reveries of the Connected World est présenté au Cinéma du Parc depuis hier en version originale anglaise.