Douze ans après Bon voyage, le réalisateur de Cyrano de Bergerac propose une comédie «à l'ancienne» réunissant les plus belles qualités d'un genre aujourd'hui disparu.

Cinquante ans après la sortie de La vie de château, Jean-Paul Rappeneau offre aujourd'hui au monde Belles familles, son huitième long métrage. Le vénéré cinéaste français a toujours pris le temps de bien faire les choses, mais il reconnaît que le silence entre Bon voyage, son film précédent, et Belles familles a été anormalement long.

«J'ai travaillé pendant longtemps sur un projet qui a dû être annulé à deux mois du tournage! a-t-il expliqué au cours d'un entretien accordé à La Presse lors des Rendez-vous du cinéma français d'Unifrance, tenus à Paris au début de l'année. J'ai alors vécu une sorte de dépression. C'est très classique. À l'âge que j'ai maintenant, je me suis sérieusement demandé si je pouvais m'en relever. C'est pourtant de cette déprime qu'est venue l'idée d'un film dans lequel je reviendrais sur les traces de ma jeunesse dans une ville de province. Pour voir à quel point tout a changé.»

Réputé pour son élégance et l'extrême précision de ses mises en scène, le réalisateur de Cyrano de Bergerac propose une comédie de boulevard habilement construite, au charme délicieusement suranné, complètement dénuée de cynisme et de vulgarité.

La nouvelle modernité

Mathieu Amalric incarne Jérôme Varenne, un professionnel vivant à Shanghai. Lors d'une visite-surprise chez sa famille à Paris, en route vers un rendez-vous important à Londres, il apprend que la maison de province appartenant à sa famille est au coeur d'un conflit juridique depuis la mort de son père. Aussi prendra-t-il les moyens pour en avoir le coeur net, non sans devoir bousculer d'abord les petits notables de l'endroit et leurs tractations de coulisses. On s'en doute bien, l'histoire officielle en cache une autre, plus intime. Et beaucoup plus riche.

«Il s'agit à la fois d'un film sur la France ancienne et sur celle d'aujourd'hui, complètement embarquée dans le train de la mondialisation, fait remarquer le cinéaste. Les usines sont rachetées par des entreprises étrangères, comme l'a été celle qu'avait mon père. Mes petits-fils rêvent d'aller s'installer en Amérique ou en Asie. Tout le monde veut s'en aller.» 

«Je trouvais intéressante l'idée de faire revenir un personnage dans une maison familiale où tout a changé.»

Jean-Paul Rappeneau se défend toutefois d'entretenir la nostalgie d'une France qui n'existe plus.

«Je ne veux surtout pas tomber dans le passéisme et dans le "c'était mieux avant", dit-il. Mais pour un homme comme moi, issu d'une génération qui a vécu sa jeunesse dans une société qui avait encore des relents du XIXsiècle, la rapidité avec laquelle tout se transforme crée forcément un choc. Il faut s'adapter à cette nouvelle réalité, composer avec elle.»

Pas étonnant que le cinéaste, maintenant âgé de 84 ans, livre un film «comme on n'en fait plus». Tout, ici, est dans la belle manière, dans l'élégance du verbe, dans l'efficacité sans faille d'une mécanique bien huilée, minutieusement réglée, dans l'amour du travail bien fait.

«Trop de films ressemblent à des productions télévisuelles, clame-t-il. Tout est fait trop vite. Au fait, Xavier Dolan, il travaille comment? Ce que ce garçon fait est formidable. Je suis très sensible à la tension qu'on ressent dans ses films. Je suis aussi impressionné par le talent de Denis Villeneuve. La mise en scène de Sicario, c'est quelque chose.»

Souvenirs d'enfance

Ayant sombré dans une période dépressive après l'abandon forcé de son projet précédent, Jean-Paul Rappeneau s'est refait une santé artistique en écrivant un film qui, sans trop en avoir l'air, évoque quand même un chapitre personnel de sa vie.

«Mes films sont très différents les uns des autres, mais je crois qu'ils sont tous liés par des souvenirs d'enfance, fait-il remarquer. Je dirais que Belles familles l'est davantage que les autres. J'ai vécu 18 ans de ma vie dans une maison en province, semblable à celle que l'on voit dans le film.»

Le cinéaste a par ailleurs fait appel à une distribution de haut vol, composée d'acteurs et d'actrices qui, tous, font leur entrée dans son univers.

«Mathieu Amalric devait jouer dans Bon voyage, mais à l'époque, il n'était pas assez connu aux yeux des financiers. On s'est toujours dit que nous prendrions un jour notre revanche!» - Jean-Paul Rappeneau

Outre Mathieu Amalric, Belles familles met en vedette Marine Vacth, Gilles Lellouche, Nicole Garcia, Karin Viard, Guillaume de Tonquédec, André Dussollier, Gemma Chan et Yves Jacques.

«Honnêtement, j'ai été heureux avec les comédiens tout le long du tournage, à chaque instant, dit-il. Comme jamais sur aucun autre de mes films. Je crois que cela tient au fait qu'ayant failli sombrer avec le projet qui ne s'est pas fait, j'ai pris un plaisir particulier à tourner. Il s'est installé un esprit de troupe, à travers lequel j'ai aussi senti que les acteurs étaient heureux de participer à mon retour.»

Ce regain d'enthousiasme a fait en sorte que, contrairement à ses habitudes, Jean-Paul Rappeneau a très vite voulu s'atteler de nouveau à la tâche pour élaborer un prochain projet.

«C'est que je ne peux plus me permettre d'attendre, laisse-t-il tomber. Pour la première fois de ma carrière de cinéaste, je sens la pression du temps.»

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Belles familles prendra l'affiche le 6 mai. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.