Au Festival de Cannes, où il a été lancé, Saul Fia a provoqué une véritable onde de choc. Le premier long métrage de László Nemes évoque la Shoah comme aucun autre film ne l'a fait auparavant.

À l'heure où ces lignes sont écrites, nous ne connaissons pas encore les titres des cinq films qui se disputeront l'Oscar du meilleur film en langue étrangère le 28 février. À peu près tous les observateurs s'entendent toutefois pour dire que Saul Fia devrait être le grand favori de la catégorie. Depuis son lancement au Festival de Cannes l'an dernier, où il a obtenu le Grand Prix du jury, le premier long métrage de László Nemes s'est fait valoir en décrochant de nombreuses autres distinctions, notamment de la part de différentes associations américaines de critiques de cinéma.

Au cours d'un entretien accordé à La Presse lors du Festival de Toronto, le cinéaste hongrois, né à Budapest en 1977, affirmait avoir bûché pendant des années pour élaborer son film. Il lui fallait en outre trouver une façon d'entraîner le spectateur dans l'horreur la plus infernale, tout en évitant le piège du voyeurisme et de la complaisance.

«Même si je suis né plus de 30 ans après la fin de la guerre, cet épisode somme toute récent de notre histoire me hantait en tant que cinéaste.»

«Je voulais chercher une nouvelle approche, un angle inédit, mais je n'y arrivais pas. Mon ambition était d'abord de trouver une manière d'évoquer l'Holocauste de façon réaliste. Trop de films l'ont abordé de façon très codifiée, en évoquant pratiquement toujours des histoires de survie. Dans la réalité, ces histoires de survie constituaient l'exception. Elles n'étaient qu'une infime partie de l'histoire globale.»

Regard d'un ouvrier juif

Le déclic s'est fait le jour où le cinéaste a eu l'idée de raconter le mode de fonctionnement du camp d'Auschwitz à travers le regard de Saul, un membre de la Sonderkommando. Tout au long du récit, la caméra suit ce dernier de très près. Interprété par Géza Röhrig, Saul fait partie de cette brigade d'ouvriers juifs, prisonniers eux aussi, recrutés de force pour aider les nazis dans leur plan d'extermination. On leur confie notamment les tâches les plus odieuses, lesquelles visent à rendre «efficaces» au jour le jour les opérations de ce camp de la mort. L'horreur monte d'un cran quand l'homme découvre le cadavre d'un jeune garçon en qui il croit reconnaître son propre fils.

Constitué de plans-séquences vertigineux, Saul Fia emprunte ainsi le point de vue subjectif du protagoniste. Qui doit se détacher de tout sentiment afin de survivre dans cet environnement infernal. Tout ce qui se passe autour de lui n'atteint d'ailleurs bien souvent son champ de vision que de façon floue et confuse. On ne voit pratiquement rien, mais on entend tout.

«Il fallait que l'approche soit très directe afin que le spectateur ressente cette histoire de façon viscérale, fait remarquer László Nemes. C'est l'une des grandes vertus du cinéma. Plutôt que de trop en montrer, comme on a souvent tendance à le faire dans les films à caractère historique, j'ai voulu me concentrer sur un fil narratif très précis afin que le spectateur soit plongé dans cet environnement de la façon la plus authentique possible. C'est à lui de créer les images mentales qui proviennent de la situation décrite à l'écran.»

Un passé non réglé

Saul Fia arrive à un moment de l'histoire où l'Europe traverse une crise identitaire qui pourrait prêter flanc à certains dérapages. Le cinéaste ne cache pas son inquiétude face à la montée des idées d'extrême droite un peu partout. Et aux excès d'intolérance qui en découlent.

«Je crois que l'Europe n'a jamais véritablement confronté son histoire, dit- il. Le monde non plus, d'ailleurs. Quand l'idée d'exterminer tous les Juifs disséminés dans les pays européens est survenue, l'idée de l'Europe a été détruite par la même occasion. Ces Juifs étaient de nationalités différentes, ils habitaient dans des pays souverains, et pourtant, ils se sont quand même retrouvés dans les camps de la mort sous une impulsion européenne.

«Je crois que les difficultés auxquelles l'Europe fait face aujourd'hui proviennent du fait qu'elle n'a pas encore réglé ce chapitre noir de son passé, poursuit László Nemes. Il y a un manque d'empathie collectif. Il n'y aura bientôt plus de témoins directs de l'Holocauste. À mon sens, chaque génération a le devoir d'évoquer ce sombre chapitre de l'histoire et de le raconter à ses contemporains.»

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Saul Fia (Le fils de Saul en version française) prendra l'affiche le 15 janvier.