Après le triomphe de La grande bellezza, primé notamment aux Oscars, le cinéaste Paolo Sorrentino aborde la question du passage du temps à travers le parcours de deux vieux artistes, incarnés par Michael Caine et Harvey Keitel.

Au Festival de Cannes, où Youth a été lancé en primeur mondiale, la question de l'usage plus fréquent de la langue anglaise dans de nombreux films «étrangers» a été soulevée. Des trois films italiens présentés dans la compétition officielle, un seul a été tourné dans la langue de Dante (Mia Madre de Nanni Moretti). Il se trouve en effet que Matteo Garrone (Tale of Tales) et Paolo Sorrentino ont choisi d'utiliser la langue de Shakespeare dans leur plus récent long métrage.

«Un film ne perd pas son identité parce qu'il est tourné dans une autre langue, explique le cinéaste italien au cours d'un entretien accordé à La Presse. À partir du moment où j'écris un scénario dans lequel l'un des personnages principaux est un cinéaste qui travaille à Hollywood depuis très longtemps, mon écriture se tourne alors forcément vers l'anglais.»

Aux yeux du cinéaste, qui signe ici son sixième long métrage, un film est avant tout porté par son sujet. Il y a quelques années, il avait d'ailleurs conçu This Must Be the Place, qui évoquait la vie d'une rock star, expressément pour Sean Penn. L'acteur avait été très impressionné par Il Divo - Prix du jury à Cannes l'année où la vedette de Milk présidait justement le jury - et avait manifesté son intérêt auprès du cinéaste.

Deux approches différentes

Dédié au maître Francesco Rosi, disparu au début de l'année, Youth relate l'histoire de deux vieux amis artistes qui, depuis des années, se rendent dans une station luxueuse en Suisse pour y passer leurs vacances. Fred Ballinger (Michael Caine) est un chef d'orchestre britannique très réputé, aujourd'hui à la retraite. Et il est résolu à n'en sortir sous aucun prétexte, quitte même à refuser une offre faite par un envoyé spécial de Sa Majesté, dépêché sur place.

Son ami Mick Boyle (Harvey Keitel) est un cinéaste qui, au contraire, estime ne pas encore être allé au bout de sa démarche. Aussi bûche-t-il encore aujourd'hui sur le scénario d'un film qu'il souhaiterait livrer en guise de testament artistique. À cette étape de leur vie, les deux hommes empruntent ainsi deux approches totalement différentes devant le temps les séparant de la mort.

«L'idée m'est venue après une rencontre avec Francesco Rosi il y a des années, indique Paolo Sorrentino. Il m'avait raconté une histoire de jeunesse dans laquelle une jeune femme était impliquée. Ça m'a servi de point de départ, mais j'ai quand même mis des années à écrire le scénario. J'ai en outre fait beaucoup de recherches à propos du chef d'orchestre.»

Quand on lui demande s'il se projette lui-même dans le personnage qu'incarne Harvey Keitel, le cinéaste, âgé de 45 ans, répond qu'à cette étape de sa carrière, il lui est encore un peu difficile de prédire comment il envisagera la pratique de son art dans une trentaine d'années.

«Je suis conscient que le risque de s'accrocher existe, confie-t-il. À titre de cinéaste, on souhaite une continuité. D'où ce désir que rien ne s'arrête. Cela dit, j'espère que j'aurai quand même l'instinct de m'arrêter quand je sentirai que le moment est venu de le faire. Mais d'évidence, je m'interroge moi-même à travers ce personnage de cinéaste. La perspective d'un avenir peut te donner des ailes et te faire ressentir l'état de la jeunesse. Mais comment retrouver cet état d'esprit quand l'avenir n'existe pour ainsi dire plus?»

Jouer son âge

Michael Caine, qui a invité le cinéaste à discuter du film à Londres après avoir été emballé à la lecture du scénario, a en outre fait remarquer en entrevue que les rôles dans lesquels les acteurs sont appelés à «jouer leur âge» sont assez rares.

«Paolo a donné le rôle d'un Anglais de 82 ans à un Anglais de 82 ans! a-t-il déclaré. Le film ne traite pas du refus de la vieillesse, mais plutôt du fait d'avoir déjà vieilli. Et maintenant, où en es-tu avec ta vie?»

Mettant aussi en vedette Rachel Weisz et Jane Fonda, flamboyante dans la courte partition d'une actrice venue régler des comptes, Youth a été acclamé la semaine dernière à Berlin, lors de la cérémonie des 28es Prix du cinéma européen. Trois des plus importantes récompenses de la soirée lui ont été remises: meilleur film, meilleure réalisation et meilleur acteur (Michael Caine).

Même s'il ne voit pas tellement de changement dans son approche, Paolo Sorrentino reconnaît que l'Oscar que lui a valu La grande bellezza dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère a quelque peu changé la donne.

«Les attentes envers moi sont désormais plus grandes, dit-il. Je ne peux le nier. Mais je trouve ça plutôt stimulant, car cela me force à être encore meilleur!»

Le cinéaste italien est d'ailleurs à la barre de The Young Pope, une série que HBO diffusera au cours de la prochaine année. Sorrentino a conçu la série, l'a coécrite et en a réalisé les huit épisodes. Jude Law et Diane Keaton sont les têtes d'affiche de cette série dont l'intrigue est campée au Vatican, alors que débute le règne de Pie XIII, un pape fictif.

Par ailleurs, il convient de dire un mot sur l'affiche internationale de Youth, plutôt racoleuse. On y voit les deux vétérans dans une piscine en train de regarder une superbe jeune femme nue. Or, le récit est beaucoup plus fin que cette affiche, qui pourrait laisser croire à une dérive libidineuse de deux hommes d'âge mûr. Cela dit, cette affiche a beaucoup ému Michael Caine. À Cannes, l'acteur avait déclaré ceci: «Quand ces deux hommes regardent cette splendide jeune femme, ils contemplent ce à quoi ils n'auront jamais plus accès. Ça m'a rendu triste. Moi, j'ai pleuré en regardant cette affiche!»