Love, film scandale du dernier Festival de Cannes, prend l'affiche vendredi au Québec. Masturbation, cunnilingus, fellation, exhibitionnisme et éjaculation en trois dimensions; retour avec le cinéaste Gaspar Noé sur une oeuvre explicite qui suscite la controverse.

Je voulais revenir sur l'histoire de l'interdiction de votre film aux moins de 18 ans en France. Ce sera aussi son classement au Québec. Vous avez eu l'impression d'être censuré...

En France, il existe une classification «interdit aux moins de 18 ans», ajoutée après le film Baise-moi, et une autre pour le X, pornographique. L'«interdit aux moins de 18 ans» vise des films un peu moins radicaux que d'autres. Irréversible avait une interdiction aux moins de 16 ans et là, bizarrement, j'ai une interdiction aux moins de 18 ans en raison d'un lobby dirigé par un énergumène catho d'extrême droite qui veut foutre la merde. Le film méritait un avis «16 ans» au maximum. Mais ce n'est pas très grave. Bizarrement, un peu partout dans le monde, les images de guerre ou d'actes de violence, parce qu'elles sont généralement simulées, sont plus faciles d'accès. Sur l'internet, on peut voir des images d'une cruauté extrême. On voit des gens se faire égorger. Ou encore des images de domination sexuelle. C'est bizarre de vouloir censurer des images de sexualité heureuse, qui sont en phase avec la vie.

Vous faites la distinction entre ce qui est simulé au cinéma - les images de guerre, par exemple - et ce qui ne l'est pas, notamment dans votre film. C'est aussi ce qui a motivé cette censure, non?

Personne ne sait ce qui est simulé ou pas dans mon film. Je n'ai pas voulu faire la promo en disant «ceci est vrai» et «ceci est faux». Je trouve que ça a desservi le film de Kechiche (La vie d'Adèle) et le film de Lars Von Trier (Nymphomaniac) parce que ça devient un sujet de conversation. Dans un film, tout est truqué: un couple n'est pas un couple; le violeur d'Irréversible n'a pas violé Monica Bellucci...

Êtes-vous vraiment étonné de la réaction que votre film suscite? Il y a chez vous une volonté de provoquer. Quand on voit les images explicites, l'affiche avec le sperme qui coule...

C'est un film qui parle de la vie, du désir sentimental, du désir sexuel. Il n'y a rien dans le film qui est censé provoquer d'autres gens.

Choquer les puritains, du moins...

Si on s'occupait d'eux, on ne ferait jamais rien! J'ai plutôt fait le film pour les miens que contre les gens. Il y a des films qui sont des affirmations de soi ou de son groupe, et qui ne sont pas contre qui que ce soit d'autre ou qui ne sont pas censés choquer qui que ce soit. Après, effectivement, à la fin du film, il y a quelques dérapages. Mais c'est plus un film sur les peurs. J'ai pas mal d'amis qui ont des enfants accidentels et dont la vie a basculé dans une direction à laquelle ils ne s'attendaient pas du tout. Ils ont peut-être oublié la nuit, mais pas le fruit de cette nuit...

Il reste que le sexe est explicite et en 3D.

Ce sont des actes d'amour. On n'a pas l'habitude que ces films-là soient exploités en salle. Je trouve que ça parle plutôt d'un problème de l'Occident que d'un problème dans mon film. Tout le monde fait l'amour. C'est une des plus belles choses de la vie. Dans un contexte de film, certains y trouvent quelque chose qui cloche. C'est le système de diffusion qui cloche. Plus j'y pense, plus je suis surpris que la révolution sexuelle, qui a eu lieu dans les années 70 et qui a vraiment ouvert plusieurs portes, n'ait pas enchaîné sur de nouvelles formes de cinéma ou d'un genre cinématographique qui serait le film d'amour. Aujourd'hui, il y a des films de guerre, des films de science-fiction, il y a des vidéos d'actes sexuels totalement froids qui pullulent surtout sur l'internet, mais le cinéma X a disparu, et le cinéma érotique qui, moi, me «parlait» plus à l'adolescence a aussi disparu. Aujourd'hui, je ne sais pas ce qui excite un jeune homme ou une jeune femme dans le paysage audiovisuel. Mes références, ce sont les images de Sylvia Kristel dans le film Emmanuelle qui m'ont surexcité, ou les films de James Bond que j'ai vus en tant qu'enfant. L'espace cinématographique, sur ce plan-là, s'est beaucoup desséché, au lieu de s'élargir et de fleurir.

Tentez-vous de faire tomber certaines frontières entre les genres cinématographiques? Entre le cinéma pornographique et le cinéma d'auteur?

Ce n'est pas parce que l'on met un pistolet dans un film que l'on fait un film policier.

Il n'y a pas seulement un pistolet dans votre film. Vous en mettez plein la vue...

Quand je repense à ma vie ou à mes histoires passionnelles, je pense essentiellement à des moments qui se sont passés sur un lit. Ils sont empreints de sentimentalité. Dans un film, on rajoute de la musique pour établir ce lien émotionnel avec le spectateur et le mettre dans le même état que celui dans lequel on a été. Mais c'est vrai qu'on se souvient rarement des dialogues de notre passé. On se souvient beaucoup d'images, et d'images de lit, d'une fille nue, d'un acte sexuel. Comment représenter au cinéma de manière émotive cette chose qui est commune à tout le monde, garçons comme filles, hétérosexuels ou homosexuels, peu importe leur âge à partir de 15 ou 16 ans. Il y a des gens de 70 ans qui ont adoré le film. Des adolescents aussi. Et particulièrement le public féminin, si je me réfère à la réaction de ceux qui m'en ont parlé. Je ne dirais pas que le film est féministe, mais les personnages féminins sont plus forts que le personnage masculin, qui court après sa bite.

Je ne dirais pas non plus que le film est féministe... Le discours du personnage masculin est particulièrement macho.

Il n'a pas de discours. Le personnage n'est pas un héros. Plus qu'un vainqueur, c'est un «loser». Il a de bonnes références, il n'est pas mal intentionné, il est touchant, mais il rate tout dans la vie, quoi.

Avez-vous décidé de tourner «votre» film porno, comme Lars Von Trier a tourné le sien sans qu'il en soit vraiment un?

Des films de braquage ou des films de guerre, il s'en fait toutes les semaines. Des gens qui partent en guerre, je n'en connais pas beaucoup. Par contre, des gens qui ont fait des addictions amoureuses, j'en connais. J'en fais partie. Tous mes amis et mes copines sont passés par là. Chacun a ses histoires et ses embrouilles. Chacun a sa manière de gérer la fin de l'histoire. J'ai vu des gens perdre des kilos. Je ne voulais pas faire un film érotique, mais un film d'amour ou de passion où le rapport charnel est à la base d'une addiction.